Un autre dossier, et qui n'est pas le moins considérable, préoccupe les magistrats : celui du système pénitentiaire proprement dit et de son aboutissement extrême, la réclusion à vie ou la peine de mort. Depuis l'entrée de G. Pompidou à l'Élysée, il y a plus de trois ans, aucune exécution capitale n'a eu lieu en France ; la dernière, celle de Jean Olivier, meurtrier de deux enfants, remonte au 11 mars 1969. Hostile à la peine de mort, le président de la République s'est toutefois gardé d'exprimer publiquement ce sentiment, professant qu'en ce domaine, comme en beaucoup d'autres, le fait précède le droit. Or, le 15 novembre, plusieurs quotidiens parisiens consacrent des éditoriaux à la décision que doit prendre prochainement le chef de l'État à propos de trois condamnés à mort : Claude Buffet, Roger Bontemps et Mohamed Libdiri.

Les deux premiers ont été condamnés le 29 juin 1972 par la cour d'assises de l'Aube pour le meurtre d'un gardien et d'une infirmière lors d'une tentative d'évasion, le 22 septembre 1971, à la maison centrale de Clairvaux (Journal de l'année 1971-72). Mohamed Libdiri est un travailleur immigré, condamné le 4 octobre 1971 par la cour d'assises des Alpes-Maritimes pour le meurtre d'un chauffeur de taxi.

Que va faire G. Pompidou ? La France reste, avec l'Espagne, le seul pays à conserver la peine de mort. Le 26 novembre, France-Soir publie un sondage de l'IFOP révélant que 63 % des Français interrogés estiment « satisfaisante » la loi qui maintient la peine de mort, mais donne au président de la République le droit de grâce. À l'aube du 28 novembre, dans la cour de la prison de la Santé à Paris, Roger Bontemps et Claude Buffet sont décapités. Libdiri, pour sa part, a été gracié.

Ces deux exécutions portent à 20 le nombre des condamnés guillotinés en France depuis 1956. Commentant le refus du chef de l'État, Me Rémi Crauste, l'un des deux défenseurs de Buffet, déclare que cette sentence « a fait régresser tout d'un coup notre système répressif d'un siècle ». L'avocat ajoute qu'il est extrêmement regrettable que la société se soit fait l'instrument de ce qui n'a été, selon lui, qu'un suicide voulu par son client : Buffet a écrit au président de la République, affirmant qu'il refusait d'être gracié. Me Crauste s'en prend également à « l'influence de certains sondages » dans la décision qui a été prise. Le 29 novembre, G. Pompidou se déclare « opposé à la suppression de la peine de mort, comme on a malheureusement pu le constater hier ».

Cette double exécution n'aura déclenché, à tout prendre, que des protestations assez brèves, peut-être parce que son principal protagoniste, Claude Buffet, avait réussi à donner de lui-même l'image d'un criminel absolu. La décapitation suivante, celle d'Ali Benyanès, trente-trois ans, condamné pour le meurtre d'une fillette de sept ans, ne suscite guère plus de réactions. La sentence est appliquée le 12 mai 1973, dans la cour de la prison des Baumettes à Marseille. L'opposition rappelle que le programme commun de gouvernement adopté par le PCF et le PS, et contresigné par le Mouvement de la gauche radicale-socialiste, prévoit que la peine de mort sera abolie.

Il reste aussi le profond malaise de la magistrature. L'affaire de Clairvaux et sa conclusion pénible ont illustré les vices du système pénitentiaire (Journal de l'année 1971-72). Au début de l'année 1972, les détenus de plusieurs prisons se sont révoltés, notamment à Toul et à Nancy. D'autres, moins bruyamment, ont fait connaître leurs revendications par la diffusion de mémoires et de rapports où l'on décrit la réalité quotidienne : mitards ou cachots disciplinaires, ceintures de contention, cellules insalubres et surpeuplées, violences et brimades. Dans Sept ans de pénitence, une femme, condamnée pour avoir tué, dans un restaurant de la rue de la Huchette, son mari – un médecin arrivé –, écrit un journal autobiographique sur la Roquette. Des travailleurs sociaux, des internes publient des témoignages, aussi bien sur la petite maison d'arrêt de Fontainebleau que sur la mégapolis de Fleury-Mérogis, réalisation pourtant exemplaire, bâtisse énorme, automatisée, conçue de telle manière que l'on puisse y passer des années (théoriquement) sans voir le moindre surveillant, mais qui n'échappe pas aux critiques traditionnelles : rudesse du personnel subalterne, caïdat de certains détenus, désœuvrement, promiscuité.