Plus généralement, l'opinion publique prend conscience que les problèmes liés à la sexualité ne sont pas du seul ressort des spécialistes. Chacun se sent concerné et chacun s'interroge. Les attitudes les plus diverses s'affrontent. On s'accorde à reconnaître la nécessité d'une information sexuelle des jeunes, mais comment et par qui sera-t-elle faite ? L'émotion soulevée par l'affaire Mercier témoigne que l'unanimité est loin d'être faite.

Bobigny

Marie-Claire, 17 ans, est jugée pour un avortement qu'elle a subi un an plus tôt. Sa mère, Mme Chevallier, est accusée d'avoir favorisé l'avortement. La défense est assurée par Me Gisèle Halimi, secrétaire générale de l'association Choisir. Marie-Claire, jugée le 11 octobre à huis clos, est relaxée. Le 8 novembre comparaissent à leur tour la mère de Marie-Claire, les deux amies qui ont servi d'intermédiaires et la personne qui a pratiqué l'avortement. Mme Chevallier, employée à la RATP, mère célibataire de trois enfants qu'elle élève, fait figure de mère exemplaire et reconnaît les faits avec dignité : « Je vis encore les humiliations que la société réserve aux mères célibataires et je ne voulais pas que ma fille connaisse cela. Je lui avais proposé de garder et d'élever l'enfant, ce qui n'aurait pas été sans nous créer des difficultés. Elle n'a pas voulu. Dès lors qu'elle avait décidé, je devais l'aider. Je ne regrette absolument rien. »

Le défilé des témoins cités par la défense élargit le débat jusqu'à la contestation de la loi. Des actrices, des hommes politiques, des écrivains, des chercheurs, des médecins viennent à la barre. Le professeur Paul Milliez, président de l'Unité d'enseignement et de recherche Broussais-Hôtel-Dieu à Paris, déclare : « Dans le cas de Marie-Claire, il n'y avait pas d'autre issue honnête que celle qu'elle a choisie » ; il reconnaît avoir lui-même pratiqué un avortement lorsqu'il était interne et en avoir favorisé depuis.

Le tribunal de Bobigny rend le 22 novembre un jugement modéré : un an de prison avec sursis à Mme Babuck qui avait pratiqué l'avortement, 500 F d'amende avec sursis pour Mme Chevallier, relaxation pour les deux autres femmes.

Mais l'affaire n'est pas close. Le 17 novembre, le Conseil national de l'Ordre des médecins désapprouve le professeur Milliez pour son témoignage. Le ministre de la Santé, Jean Foyer, recevant le professeur Milliez en présence du président du Conseil de l'Ordre, déclare que « le vice des riches ne doit pas devenir le vice des pauvres ». Cette affirmation est vivement critiquée ; l'attitude de l'Ordre des médecins et son rôle sont remis en cause.

Manifeste

Le 6 février, en pleine campagne pour les élections législatives, le débat rebondit. Trois cent trente et un médecins publient un manifeste : ils affirment pratiquer ou favoriser des avortements dont ils se déclarent solidairement responsables. Ils réclament l'avortement libre et gratuit. Deux jours plus tard, 250 personnalités, groupées sous l'égide de l'Association nationale pour l'étude de l'avortement, se déclarent, elles aussi, collectivement responsables des avortements que ses membres médecins pratiquent depuis trois mois « dans des circonstances où l'interruption de la grossesse leur est apparue comme une obligation morale absolue » et après examen par une commission.

Des médecins – et parmi les plus célèbres –, des doyens de faculté, des professeurs au Collège de France, des avocats, des prêtres catholiques, des pasteurs sont ainsi ouvertement en infraction avec la loi. L'embarras des pouvoirs publics est manifeste. Le ministère de la Justice et le Conseil de l'Ordre des médecins se renvoient poliment la balle. À la veille des élections, les partis politiques se montrent réservés.

Contraception

Le débat sur l'avortement éclipse le problème de la contraception. Cinq ans après le vote de la loi Neuwirth, les derniers textes d'application sont publiés le 2 décembre 1972. Ces arrêtés fixent les conditions d'agrément des centres de planification et d'éducation familiale. Mais rien n'est prévu pour le financement de ces centres.