Chez nous, cette tendance est superbement illustrée par les dernières œuvres de Gilbert Amy, auxquelles vient de s'ajouter une page d'importance, D'un espace déployé, pour soprano solo et deux orchestres, vaste poème en reliefs subtils, dont l'auteur et Georg Solti ont dirigé, en mars, la création triomphale par l'Orchestre de Paris.

Opéra

Mais si les langages contemporains peuvent permettre de renouveler le genre symphonique, il leur est plus difficile de rajeunir le théâtre chanté. À l'Opéra, les contraintes innombrables empêchent l'imagination de prendre le pouvoir ou l'obligent à tout casser.

Ici et là, ce ne sont toujours que pièces éclectiques qui sacrifient à des stéréotypes dépassés, ou bien exercices de théâtre expérimental où la musique se contente de jouer les utilités. Comme on a pu en juger au Festival d'Avignon, l'ambiguïté du théâtre musical est loin d'avoir levé l'hypothèque qui pèse sur l'opéra proprement dit.

Deux ouvrages nouveaux retiennent pourtant l'attention. Le Lorenzaccio, de Sylvano Bussotti, créé au Festival de Venise en septembre 1972, est d'une complexité et d'une richesse musicales exceptionnelles. Dans cette somme théâtrale de sa pensée, on retrouve les obsessions érotiques du compositeur italien, son symbolisme secret, ses perspectives intérieures constamment déviées, ses autocitations imbriquées et même l'intégralité du Rara Requiem, centre magique de son oeuvre de concert et qui tient lieu ici d'acte final. À l'Opéra de Hambourg en février, la création de Kyldex I, avec une musique électroacoustique de Pierre Henry et une chorégraphie d'Alwin Nikolaïs, a surtout frappé par l'application scénique extrêmement spectaculaire des recherches plastiques lumino-cinétiques de Nicolas Schöffer. C'est la première fois qu'est tentée et réussie la synthèse de la participation humaine directe et de la technologie la plus avancée.

Électronique

Les quinze concerts que le Groupe de recherches musicales de l'ORTF a organisés de février à avril pour fêter le 25e anniversaire de la musique concrète, les nombreuses autres manifestations du même genre qui se sont déroulées à Paris et en province tout au long de la saison n'ont pas manqué de relancer le débat sur l'intérêt et la finalité de l'électro-acoustique.

À l'heure où les petits studios se multiplient, la musique pour bande magnétique reste le fait de compositeurs spécialisés et elle n'arrive pas à s'intégrer à l'ensemble de la recherche musicale contemporaine. Pour Betsy Jolas, « l'élec-tro-acoustique est dans l'ornière parce que la pensée musicale n'a pas suivi l'instrument et n'a pas su le rendre nécessaire ». À quoi François Bayle répond : « La musique électro-acoustique n'est pas un genre mais une certaine musicalité à laquelle il faut croire. » Avec l'Enfer, de Bernard Parmegiani, et le Purgatoire, de François Bayle, d'après la Divine Comédie, de Dante, on a eu cependant, cette année, la révélation d'une composition éloquente et grandiose, sans précédent depuis l'Apocalypse de Jean, de Pierre Henry.

Boulez utilise pour la première fois l'électronique (système d'amplification et de sélection, modulateurs à anneaux, etc.) dans sa dernière partition, Explosante-fixe, créée en janvier à New York et reprise au Festival de Vienne en mai. Cette pièce de trente-six minutes, en vingt séquences et pour huit instruments, marque donc un tournant décisif dans la carrière du principal initiateur de la musique nouvelle.

Les investigations de l'avant-garde internationale semblent désormais vouloir autant annexer le passé qu'explorer le futur. En peu de mois, on a vu éclore partout de nouvelles œuvres qui citent, varient ou manipulent à plaisir le répertoire traditionnel, de Lassus à Webern, en passant par Beethoven, Brahms et Mahler. L'une des œuvres les plus significatives de cette tendance est sans conteste Variations sans fugue sur variations et fugue de Brahms sur un thème de Haendel, de Mauricio Kagel, créées en mai à Hambourg. D'autre part, Luis de Pablo vient de terminer Éléphant ivre, sur un motet de Vittoria, et Dieter Schnebel Arbeitung III, sur les Variations opus 27, de Webern. Toutes ces œuvres font appel, bien entendu, à l'orchestre symphonique qui semble être considéré comme l'appareil variateur le plus riche. Pour se libérer des perspectives historiques et, en quelque sorte, les court-circuiter, la plupart des compositeurs actuels veulent donc, avec autant d'humour que de sérieux, penser la musique au second degré.

Jazz et pop

Nouvelles stars et nouvelle « soul »

Sous l'étiquette pop music – délaissée depuis quelque temps au profit d'un retour au terme rock, dans un souci de revalorisation par rapport à l'utilisation commerciale du terme pop – sont maintenant désignés des courants fort divers, et la période 1972-1973 n'a fait que renforcer cette tendance. Pas question de la résumer en une expression, mais plutôt une série de sous-titres : underground music, pop spatiale, hard rock, rock décadent ou progressiste ou jazz-rock. Là s'abritent trouvailles ou redites, essais ou ratages. On publie beaucoup de disques ; le déchet est important, mais des groupes ou musiciens de valeur se révèlent, s'affirment et remplissent les salles à Paris et en province – non sans quelques problèmes.