Pour clore ce bilan : Isma, de Nathalie Sarraute, dans la mise en scène de Claude Régy. C'est un spectacle venu d'ailleurs, lui aussi, parce qu'il nous a paru tellement en avance sur le théâtre tel qu'on le conçoit encore. Travail de sape qui atteignait l'âme du langage et nous révélait sournoisement à nous-mêmes ; cette tentative originale de faire passer à la scène la psychologie des profondeurs marquera peut-être une date.

Musique

Des changements profonds et peu de révélations

À défaut de révélations artistiques d'importance, un certain nombre de changements de structure sont intervenus en peu de mois dans la vie musicale française, au point d'en modifier considérablement le profil.

L'Opéra de Paris, pour lequel on continue de se passionner – ne serait-ce que parce qu'il absorbe à lui seul 51 % du budget musical de la nation –, est passé des mains de Daniel Lesur et Bernard Lefort à celles du Suisse Rolf Liebermann qui, jusque-là, présidait aux destinées glorieuses de l'Opéra de Hambourg. Après le testament quelque peu inégal de ses prédécesseurs (idéale Femme sans ombre, de Richard Strauss, en octobre 1972 ; académique Hommage à Diaghilev, en décembre), le nouveau maître a fermé la maison pour trois mois de réorganisation, tout en faisant connaître ses programmes et ses distributions pour les deux saisons à venir – fait sans précédent dans les annales du palais Garnier.

La réouverture de l'Opéra de Paris allait se faire dans le faste, au théâtre Gabriel de Versailles, le 30 mars, avec d'inoubliables Noces de Figaro, de Mozart, où se conjuguaient la rigueur inspirée de la direction musicale de Georg Solti et la pureté et la profondeur de la mise en scène de Giorgio Strehler. Hélas ! le miracle ne devait pas se reproduire pour l'Orphée de Gluck, ni même pour les productions tout juste correctes du Parsifal de Wagner, en avril, et du Trouvère de Verdi, en mai. En attendant la grandiose réalisation de Moïse et Aaron, de Schönberg, promise pour ouvrir la saison prochaine et qui peut alors nous faire réévaluer la situation, force est donc de reconnaître que la nouvelle administration n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière.

Opéra-studio

Par décret du 30 décembre 1972, l'Opéra-Comique est devenu l'Opéra-studio de Paris, avec mission de former une quarantaine de chanteurs, metteurs en scène, chefs d'orchestre, décorateurs, techniciens, de promouvoir de nouvelles formes de travail d'équipe et d'assurer la création d'ouvrages expérimentaux. Louis Erlo en prend la direction, sans abandonner pour autant celle de l'Opéra de Lyon. Mais, de son propre aveu, cet organisme de recherche « ne deviendra réellement opérationnel qu'après de longs mois de travail... ».

Pièce capitale sur l'échiquier de la régionalisation musicale entreprise par Marcel Landowski (directeur de la musique, de l'art lyrique et de la danse au ministère des Affaires culturelles), l'Opéra du Rhin est entré en fonctions cette année, sous l'autorité de Pierre Barrat, assisté d'Alain Lombard pour la musique et de Jean Babilée pour la danse. Chacune de ses productions est présentée successivement à Strasbourg, Colmar et Mulhouse. Mais, outre le fait que le public traditionnel de l'opéra n'a pas encore été totalement renouvelé dans les trois villes, cette première saison a connu le handicap de deux échecs : celui du Freischütz, de Weber, dont la mise au point a été jugée par trop approximative, et celui d'Addio Garibaldi, de Girolamo Arrigo, dont les audaces de livret et de mise en scène ont fait scandale en Alsace bien plus encore qu'à Paris où l'ouvrage avait été créé quelques semaines plus tôt. On sait aujourd'hui que Pierre Barrat ne renouvellera pas son contrat.

ORTF

La réforme musicale la moins spectaculaire mais la plus déterminante de l'année, celle qui peut toucher le plus grand nombre de Français, est sans aucun doute la création d'un poste de délégué général pour la musique auprès du président-directeur général de l'ORTF. Pour la première fois, tous les pouvoirs musicaux de la radio et de la télévision (sept orchestres dont quatre à Paris, un ensemble de formations chorales et de musique de chambre, et des centaines et des centaines d'heures d'antenne) seront concentrés et donc susceptibles d'être coordonnés.