Spectacles

Théâtre

Une période de transition pleine d'incertitudes

Terne, désordonnée, la saison 1972-73 ne laissera pas de grands souvenirs ; nous sommes au creux d'un désarroi profond. Sans se trouver, le théâtre semble se chercher dans toutes les directions à la fois, image d'une société dont les mutations sont également très anarchiques, comme si les hommes qu'on a chargés de les concevoir étaient dépassés par l'ampleur de leur tâche et les difficultés d'une application sans cesse remise en cause.

1973 était l'année Molière ; cela aurait dû nous valoir des créations exceptionnelles, au moins à la Comédie-Française. Mais celle-ci, paralysée par une grève interminable, ne nous a offert qu'un Bourgeois gentilhomme réglé sous un chapiteau de cirque par un Jean-Louis Barrault moins bien inspiré qu'à l'ordinaire, et une École des femmes, revue par Jean-Paul Roussillon, où l'on aura surtout remarqué la double interprétation d'Arnolphe par Pierre Dux et Michel Aumont, et la présence d'une Agnès de dix-neuf ans : Isabelle Adjani. Maigre bilan pour un tricentenaire.

Inquiétudes

Cette saison était aussi la première du nouveau TNP décentralisé. On ne peut pas dire qu'elle se soit particulièrement distinguée. Si le Toller repris par Patrice Chéreau – il avait créé cette pièce allemande en Italie, il y a quelques années – nous a rappelé qu'il demeure un artiste surprenant de justesse et d'inventions (et Richard Peduzzi, son décorateur, le merveilleux artisan de ses réussites), les deux créations de Roger Planchon ont beaucoup déçu. Sa Langue au chat était une satire très lourde du show-business de la télévision, et sa mise en scène à grand spectacle de Par-dessus bord écrasait la pauvre petite comédie sociale de Michel Vinaver, où les mésaventures d'un cadre dans une entreprise en lutte contre la concurrence américaine étaient le support peu justifiable de tableaux de genre d'un faste incongru. Planchon, de plus en plus, renonce à son esthétique rigoureuse d'autrefois.

Il faut rappeler aussi, à propos d'inquiétude, que le printemps 1973 aura paru pesant de menaces pour l'expression dramatique et un certain théâtre populaire qu'ont toujours défendus Planchon et ses pairs. Dans une interview retentissante, le nouveau ministre des Affaires culturelles a en effet sommé les animateurs de choisir entre « la sébile et le cocktail Molotov », formule malheureuse qui n'a pas fini de lui exploser à la figure. La liberté est-elle si mal en point qu'il soit nécessaire de procéder à ses funérailles solennelles comme l'ont fait les comédiens du Théâtre du Soleil, suivis par une bonne partie de l'intelligentsia groupée en cortège ? Il est probable que Maurice Druon reviendra sur ses déclarations, et que ses actes contrediront souvent ses paroles, pour la simple raison que le talent, quand il est réel, ne saurait être au service d'un pouvoir, quel qu'il soit, et que les subventions n'ont rien d'une aumône ou d'un mécénat : c'est un devoir national si l'on ne veut pas la mort du théâtre.

Boulevard

On croyait, par exemple, que le Boulevard était le domaine prospère des commerçants du théâtre ; il n'en est plus rien. Le directeur des Variétés – la plus ancienne salle parisienne – est sur le point de céder à un promoteur son établissement, jugé trop vétuste par les services de sécurité. La Renaissance est restée close presque toute la saison, et au Montparnasse-Gaston-Baty la reprise des Amants terribles de Noël Coward, avec des stars solides comme Danielle Darrieux et Jean-Claude Pascal, n'a pas attiré les foules escomptées, tandis que La débauche, de Marcel Achard, survivait à peine deux mois au théâtre de l'Œuvre. Seuls deux bons faiseurs ont réussi leur saison : André Roussin, nouvel académicien, dont La claque est une gifle aux critiques honnis, ces pelés, ces galeux, ces ratés d'où vient tout le mal, et Françoise Dorin, Sacha Guitry en tailleur Chanel, qui sait prendre Le tournant avec une adresse consommée et confirmée.

Et puis, bouffonnerie délirante, il faut citer La cage aux folles de Jean Poiret. En compagnie de son vieux complice Michel Serrault, dont on pourrait cette fois orthographier le prénom avec une final, il donne de l'homosexualité une vision burlesque.

Curiosités

D'Angleterre nous est également venue, dans une adaptation de Claude Roy, une comédie dramatique intitulée Honni soit qui mal y pense. Ce fut surtout, pour Claude Rich, l'occasion d'y prouver une fois de plus sa virtuosité d'acteur. Jouer un lord fou qui se prend pour le Christ après avoir été un faux baron qui se prenait pour le pape dans Hadrien VII, ce n'est plus du talent, c'est une vocation !