Pourquoi ne pas jouer pour rien, pour le plaisir ? C'est ce qu'ont fait les enfants, dans le cadre du Festival d'automne à Paris (13 octobre-19 novembre 1972), au milieu de l'environnement du Grand Palais : grimés et déguisés par des animatrices, les jeunes visiteurs, venus en rangs sous la conduite de leurs maîtres, se précipitaient à travers les milliers de fils de Nylon du pénétrable de Soto, malmenaient les portes et les poulies du grand billard d'Ulveldt, parcouraient le Palais de conversation des framboises et les Collines respirantes de Messagier, sans se douter une seconde qu'il pouvait s'agir d'œuvres d'art. Ou les élèves de l'école de la rue Dussoubs, dans le quartier des Halles, qui, à la rentrée d'octobre 1972, ont découvert sur le mur qui était tout leur paysage des oiseaux roses et des palmiers bleus flottant la tête en bas dans les nuages, 800 mètres carrés de couleurs offerts conjointement par le CNAC et un promoteur mécène : toute la mythologie naïve de René Bertholo, peintre sur bâtiment, pour la plus grande et la plus gratuite surprise du passant.

Picasso : il n'y a pas d'héritage

Pour un immense public, Picasso incarnera pendant longtemps encore la peinture moderne, comme Hugo fut, naguère, le poète. Sa mort, unanimement déplorée et saluée, n'a pas permis de porter sur une oeuvre de plus de trois quarts de siècle un regard lucide et objectif. La longévité impressionne. La générosité aussi, qui enrichit le Louvre de la plus grande partie de la collection personnelle de l'artiste. Pourtant, quoi de plus clair ? D'un côté, le besoin de traduire en lignes et en couleurs le moindre événement de la vie, la plus intime comme la plus commune – un sourire de femme, le frémissement contenu d'un taureau, l'indignation devant l'absurdité guerrière –, et cette continue capacité à faire oeuvre de tout ; de l'autre, une attention toujours en éveil, une curiosité précise et insatiable pour toutes les inventions et les techniques esthétiques, de la statuaire égyptienne aux collages surréalistes. Et une merveilleuse franchise : « je ne cherche pas, je trouve... » Si Picasso est un inventeur, c'est bien moins au sens de créateur de formes qu'à celui de découvreur de trésors enfouis.

Son génie n'est pas celui du titan prométhéen, mais de l'enfant naïf et enthousiaste, qui saisit et éprouve tout objet qui passe à sa portée. Il fut un élève exceptionnellement doué, retenant les leçons de Lautrec, de Van Gogh, de Cézanne, de Derain lui présentant l'art nègre, de Braque, de Matisse dont il envia l'extrême liberté de geste et la sérénité finale, mais aussi du Greco, d'Ingres et du maniérisme italien. « Inspiré », il le fut toute sa vie, et il est peu d'artistes dont les sources soient si évidentes et si constamment repérables. Picasso a pris son bien partout, voire chez lui-même, comme en témoigne magnifiquement l'œuvre majeure, Les demoiselles d'Avignon, où sur les bleus et les roses de ses deux périodes célèbres se détachent des formes arrachées à la sculpture ibérique préromane et à l'hiératisme des masques africains. Son œuvre est faite de retours, sur l'art du passé et sur elle-même. Et il est tout à fait significatif qu'après Guernica la biographie, l'anecdote submergent l'activité créatrice, dont la lithographie (à partir de 1945) et la céramique (à partir de 1947) vulgarisent l'image triomphante. Mais une colombe ne fait pas la paix. La liberté de quelques sculptures, l'économie heureuse de certaines scènes de tauromachie compensent mal les redites des dernières années, où l'œuvre ne subsiste plus que pour nourrir le mythe qu'elle a engendré. Il y a bien longtemps que l'aventure de l'art contemporain, avec ses doutes, ses angoisses, son sens de la culpabilité et son appétit d'auto-destruction, est étrangère à cette pratique imperturbable que le grand public a assimilé, en bloc, avec ses fulgurances et ses cocasseries, le temps ayant non pas vaincu l'incompréhension, mais l'ayant suffisamment émoussée, pour qu'« un Picasso » devienne – élément marginal mais admis – un des éléments stables de l'échelle des valeurs culturelles. Et cette reconnaissance permet de mieux rejeter les audaces inquiètes d'aujourd'hui. Si Picasso nous a légué quelque chose, c'est plutôt un art de vivre, une hygiène, et cette fascination des résurgences, rien n'étant très nouveau sous le soleil, pourvu, comme il le disait de Matisse, qu'on ait « le soleil dans le ventre ». Mais l'histoire (et la connaissance) de la peinture passera par lui et l'on sera tenté, au niveau des préoccupations critiques et didactiques, de chercher dans son œuvre toutes les solutions : génie prudent, Picasso ne se posait que les problèmes qu'il pouvait résoudre.

La direction des arts plastiques du centre Beaubourg est confiée pour cinq ans, en juin 1973, à un Suédois, Pontus Hulten, conservateur du Moderna Museum de Stockholm. P. Hulten assure la direction de la collection du Musée d'art moderne, la direction du CNAC et de la Documentation d'art moderne. Pour ces deux dernières fonctions il est assisté de B. Gauthier et G. Viatte.

Ventes

Le chiffre d'affaires des ventes publiques parisiennes a progressé globalement pour 1972-73 de plus de 25 % en un an, pour atteindre 340 millions de francs, ce qui représente la plus forte augmentation enregistrée depuis la fondation de l'hôtel Drouot en 1852. Cette bourse pilote du commerce de l'art représente les trois quarts de toutes les ventes publiques françaises. Toutes proportions gardées, les hôtels de ventes de province ont d'ailleurs connu une progression parallèle de leur chiffre d'affaires, aussi bien dans les grandes villes, comme Lyon, Marseille, Bordeaux, Nice et Angers, que dans les trois études versaillaises, particulièrement actives.