Obtenir la plus grande tension chromatique tout en ramenant la peinture à la table rase, « à une sorte de degré zéro », telle était l'ambition de Newman depuis Onement I (1948). Cette unitude naissait d'une surface massive, brun-rouge, entaillée en son milieu d'un sillon orange, un zip. En réalité, lorsqu'on suit l'évolution de ses dessins, des pastels de 1944 aux lavis de 1960, on saisit l'apparition progressive de germinations colorées, qui gagnent de proche en proche, pour se fondre en larges aplats qu'une bande verticale ou horizontale stabilise et répartit selon une symétrie de plus en plus discrète. Mais à considérer la série des recherches formelles, des premiers grands tableaux de plus de 5 mètres (Vir Heroïcus Sublimis, 1950) aux triangles isocèles des dernières années (Jéricho, 1969), en passant par les zips isolés au cœur de la toile (The Wild, 1950) ou les noirs et blancs tragiques de Shining Forth (1961), on risque de laisser échapper la raison profonde de cet art dépouillé, où le geste lui-même s'efface. Newman n'est pas simplement le père du colored field et du minimal art, affranchissant de l'anecdote l'expression picturale aussi bien au niveau de la composition qu'au plan de la texture colorée ou de la technique de la touche. Il pensait que « la peinture devait être retirée des mains des connaisseurs », mais pas seulement pour en faire l'objet d'une jouissance immédiate et platement graphique. Ses références aux sources judaïques, sa mystique religieuse profondément inspirée par la Kabbale prouvent à l'évidence que Newman s'empressait de remettre la peinture aux mains des seuls initiés.

Ad Reinhardt

(Grand Palais, 22 mai-2 juillet 1973). Si l'on connaissait l'influence qu'ont exercée ses Black Paintings sur l'art minimal aux États-Unis et sur l'art conceptuel, on n'avait pu, en revanche, avoir encore une vue d'ensemble aussi nette sur une œuvre plus complexe et plus variée qu'on le pense communément, puisqu'elle va jusqu'à comprendre des dessins satiriques sur le monde artistique et scientifique. C'est ainsi qu'on découvre avec intérêt les premiers tableaux abstraits, néo-cubistes, et les collages de la période 1937-1940. Après 1945, la structure géométrique de ses compositions se développe dans de très grands formats et tend à occuper la surface entière de la toile, aboutissant à la disparition de toute organisation formelle immédiatement lisible. Dès le début des années 50, Reinhardt adopte le schéma symétrique cruciforme, auquel il restera fidèle, mais il hésitera longtemps avant d'abandonner les bleus et les rouges pour ne plus peindre que des toiles noires de format carré toujours identique : pari désespéré, qui veut tirer de la plus simple et de la plus directe expérience physique la plus haute et la plus profonde résonance spirituelle.

Quant à l'art vivant, l'art en train de se faire, on peut le dire tout entier placé sous le signe du jeu.

Agam

(musée national d'Art moderne, 6 octobre-4 décembre 1972). Ainsi les jongleries d'Agam, signalées, dès avant les portes du musée, par une sculpture-spectacle d'eau et de feu mêlés, et par ses gerbes de tubes d'acier chromé livrées à la fantaisie manipulatrice des visiteurs.

La fluidité de la matière, la répétition inlassable de l'éphémère, la dérobade perpétuelle d'une réalité dont le hasard ne nous livre chaque fois qu'une facette fugitive : telles semblent être les leçons de ses tableaux parcourus de frissons chromatiques, vibrant au rythme des multiples ressorts qui en sous-tendent la surface, et des sculptures qui crachent des bulles de savon ou génèrent des sons. Plaisir d'éprouver la résistance des choses, de réagir spontanément à une sollicitation visuelle ou tactile en mettant la technologie la plus élaborée au service des pulsions les plus naïves, Agam nous montre que la vérité sort de la main des enfants.

Takis

(CNAC, 11, rue Berryer, 22 septembre-6 novembre 1972). Jeu merveilleux aussi, auquel nous convie Takis : au bout de longues tiges, de petits cônes de métal tremblent entre des aimants, et il nous explique, comme il le fit naguère au poète William Burroughs, que c'est une image de l'univers ; les étoiles sont reliées par le flux ténu du magnétisme rayonnant entre elles : si l'on tirait sur l'une de ces étoiles, l'ensemble du mécanisme « glisserait d'un centimètre cosmique comme un mobile grelottant », puis reprendrait d'un seul mouvement sa place le long de pistes insoupçonnées. L'œuvre de Takis est une poursuite méthodique des forces souterraines qui régissent la matière. Mais il ne néglige pas leurs manifestations plus superficielles et plus spectaculaires : pyrotechnicien à ses heures (Sculpture feu d'artifice, 1957), il aime à rassembler les signaux dont le clignotement multicolore indique que nous approchons d'une zone mystérieuse.