Le complément viendra d'un prêt de 800 millions de l'État aux deux sociétés pour consolider leurs dettes anciennes (et qu'elles convertiront en fonds propres pour compléter leur apport en capital à Solmer), ainsi que d'une souscription de 500 millions destinée à être vendue à un partenaire étranger – Thyssen – ou, plus tard et à défaut, à Usinor et à Wendel-Sidélor paritairement.

La description détaillée de ce montage est nécessaire pour illustrer l'interpénétration étroite des divers partenaires économiques dans une opération de cette envergure, et l'impossibilité pour les entreprises placées dans une mauvaise conjoncture de mener à bien d'audacieux programmes d'investissement sans de solides appuis bancaires et publics.

Même Usinor, engagé dans l'achèvement de son important programme de développement à Dunkerque, ne peut distraire beaucoup d'argent pour Solmer. Et pourtant, ayant pris dix ans plus tôt que Wendel-Sidélor le double pari des usines littorales alimentées en coke et en minerai d'outre-mer et des produits plats destinés aux industries de consommation à forte croissance, Usinor est une affaire prospère.

Même Thyssen, qui trouve dans le gigantisme (50 % de plus de chiffre d'affaires que Wendel-Sidélor et Usinor réunis) la compensation à son implantation au cœur de la Ruhr, est obligé de fragmenter ses investissements faute de pouvoir financer la création d'un complexe de la taille de Solmer.

Évolution

N'y a-t-il donc qu'une voie pour l'avenir de la sidérurgie, à savoir le gigantisme ?

Le délai qui s'écoule entre la décision est de plusieurs années. La prévision de la conjoncture sur cet intervalle est impossible. Le poids des investissements dans les coûts est tel qu'une tonne en plus est bénéfique et une tonne en moins néfaste. Une diminution de ventes de 5 % entraîne une diminution de plus de 50 % du cash-flow. La tentation d'organiser les échanges et de coordonner les investissements est donc toujours présente.

Mais le temps des cartels est passé, tandis que celui des organisations internationales et de la loi internationale n'est pas encore venu.

Ce sont des audaces, des contretemps ou des réussites tels que Solmer ou Dunkerque, qui règlent le marché et la vie des entreprises, par essais et erreurs. Il intervient aussi l'influence, bénéfique ou maléfique, des assistances ou des handicaps propres à chaque économie nationale.

L'exemple de la sidérurgie française en 1972-73 – comme celui d'autres sidérurgies dans les années antérieures – montre toutefois que le système économique ne se contente pas de cette évolution vers un gigantisme comportant de plus en plus de risques stratégiques pour les firmes et les industries.

Mini-usines

À cela, il y a deux parades. L'une se situe au niveau du marché : elle consiste à fabriquer des produits à débouché plus stable et à valeur ajoutée plus forte (tiges de forage au lieu de ronds à béton, tôles prépeintes au lieu de fer-blanc, etc.). La pénétration du marketing dans la politique commerciale, financière (et même d'investissement) de la sidérurgie française est un phénomène qui s'est accentué au cours de 1972.

L'autre parade consiste à fragmenter les investissements en unités moins coûteuses que les complexes intégrés du type Solmer.

La première consiste dans ce que l'on appelle une métallurgie de gisement, c'est-à-dire des usines à fonte ou à fer (par réduction directe) dans les pays riches en minerai, avec transformation dans d'autres pays plus proches des lieux de consommation. En gros, la métallurgie de base dans les pays neufs, la métallurgie évoluée dans les pays industriels.

La seconde réside dans l'emploi de solutions techniques moins exigeantes en capitaux que les ensembles hauts fourneaux et laminoirs continus. Parmi ces solutions, l'apparition des mini-usines, qui sont au fractionnement de la production ce que le marketing est au fractionnement des marchés.

Ces petites installations, d'une capacité de 200 à 300 000 tonnes par an, élaborent des produits simples pour un marché local et profitent de l'approvisionnement en ferraille à proximité. Elles aboutissent à des prix – et surtout à une souplesse d'exploitation – incomparables avec ceux des grandes usines, tout en n'exigeant que de faibles investissements qui restent à l'échelle d'un entrepreneur moyen.