Luis Figueroa, président de la Centrale unique des travailleurs (CUT), vient de dénoncer l'existence d'un complot de septembre, dont le président Allende révèle, le 14 septembre, en conseil des ministres, les grandes lignes : paralysie du pays par la grève des transports routiers ; émeutes dans les rues ; destruction partielle des voies de communication ; provocations contre l'armée ; intervention de l'ancien commandant Arturo Marshall (exilé en Bolivie).

Toutefois, alors que l'unité populaire croit avoir déjoué le complot de septembre, c'est en octobre que l'opposition lance sa grande offensive contre le régime. Pour protester contre le projet de création dans le Sud d'une compagnie nationale des transports terrestres, le syndicat des transporteurs (démocrate-chrétien) ordonne à ses adhérents de cesser le travail. Le motif n'est qu'un prétexte. En réalité, la grève est politique. Il s'agit de désorganiser suffisamment l'économie pour ébranler le gouvernement et le discréditer, peut-être pour obliger l'armée à intervenir contre lui.

Mobilisation

Une quarantaine d'extrémistes de droite sont arrêtés, le 10 octobre à Santiago, en plus de quatre dirigeants du syndicat des transporteurs. Le lendemain, des incidents entre camionneurs grévistes et non grévistes font un mort et provoquent environ 200 autres arrestations. Pour la huitième fois en deux ans, l'état d'urgence est proclamé dans deux provinces du Sud.

Par solidarité avec les transporteurs, les commerçants commencent à fermer boutique le 13 octobre. L'état d'urgence est étendu à 10 provinces, et le président lance un dramatique appel au calme.

Malgré les mises en garde du gouvernement, les grévistes décident de poursuivre leur mouvement. La démocratie chrétienne, pour sa part, publie une véritable déclaration de guerre à l'Unité populaire en décrétant la mobilisation de ses militants. Le pays tout entier se trouve pratiquement sous contrôle militaire le 17 octobre, l'état d'urgence entrant en vigueur dans 24 des 25 provinces du pays. Le gouvernement impose provisoirement aux 125 stations de radio du Chili de ne diffuser que les bulletins d'information de la chaîne nationale.

Cuivre

D'aucuns se plaisent à souligner la coïncidence entre la grève très dure de l'opposition et la nouvelle bataille engagée par la société cuprifère américaine Braden Kennecott Corporation, dont les mines chiliennes ont été nationalisées en 1971. Au début du mois d'octobre, le tribunal de grande instance de Paris ordonne, à la demande de la Kennecott, une saisie-arrêt sur la valeur d'une cargaison de 1 500 t de cuivre chilien attendue au Havre. La coalition gouvernementale dénonce, le 6 octobre, cet « acte de piraterie » et suspend aussitôt toutes ses exportations de cuivre vers la France.

Contrairement sans doute à l'un des buts recherchés par la société américaine, son initiative a pour conséquence de regrouper tous les partis derrière le président Allende – au moins sur le front de la guerre du cuivre.

Pour « défendre le cuivre », le président Allende prend officiellement la tête de tous les organismes de production et de distribution, en sorte que les attaques étrangères se heurtent automatiquement à l'État chilien en tant que tel.

Les pays producteurs de cuivre (Chili, Pérou, Zaïre, Zambie), qui se réunissent d'abord à Paris puis à Santiago, décident de soutenir la position chilienne. Pendant ce temps, la Kennecott multiplie les demandes de saisies-arrêts sur des cargaisons de cuivre chilien ou leur valeur : à Rotterdam, à Hambourg, puis en Italie. Elle n'obtiendra pas satisfaction. Le tribunal de Paris ordonne, fin novembre, la mainlevée de la saisie-arrêt frappant le cuivre débarqué au Havre.

Détente

Après une vague d'attentats qui fait de nouveau craindre un affrontement armé, une certaine détente revient vers le 20 octobre. « Nous ne sommes plus au bord de la guerre civile », estime le président Allende. Ce dernier, déjà réconforté par l'appui du pays tout entier dans sa lutte contre la Kennecott, a senti les limites du mouvement déclenché par l'opposition. Malgré les grèves, malgré les incidents, l'économie du pays n'a pas été paralysée. Dans tous les secteurs, l'Unité populaire a trouvé des volontaires : pour conduire les camions réquisitionnés, ouvrir les magasins, faire tourner les usines, etc. Surtout, l'armée n'a pas failli et son commandant en chef, le général Carlos Prats, a affirmé sa loyauté à l'égard du gouvernement.