Le Québec, seule province française de la Confédération, permet aux libéraux de se maintenir au pouvoir. À eux seuls, les Québécois élisent 50 % des députés gouvernementaux.

Les politicologues, pour expliquer ce recul du Parti libéral, avancent une hypothèse lourde de conséquences si elle est exacte : celle d'un ressac des anglophones contre ce qu'on appelle à Ottawa le French power (pouvoir français), qui tente depuis quatre ans d'imposer le bilinguisme et le biculturalisme au Canada et de faire une place plus grande, en toute justice, aux francophones dans la fonction publique fédérale presque exclusivement réservée aux anglophones. Ce French power, bâti autour des trois colombes québécoises, P. E. Trudeau, Premier ministre, Jean Marchand, ministre des Transports, et Gérard Pelletier, ministre des Communications, inquiète plus les anglophones qu'il ne les apaise en défendant des politiques pro-canadiennes-françaises.

Le scrutin du 30 octobre dessine nettement ce rejet du French power par les Anglais du Canada. Ils votent majoritairement pour les partis dominés par les leurs, le Parti conservateur, ou Tory, et le Nouveau Parti démocratique, refoulant le Parti libéral (à prédominance canadienne-française) aux frontières du Québec et même du Nouveau-Brunswick où 40 % de la population est francophone. Des élections nationales démontrent pour la première fois l'existence de deux nations au Canada, l'une anglaise et l'autre française, ce qu'a toujours voulu ignorer P. E. Trudeau pour forger l'unité canadienne, thème principal de sa campagne électorale.

L'attitude des anglophones pique au vif certains hommes politiques canadiens-français qui croient au fédéralisme. Au Québec, le Premier ministre Robert Bourassa avertit la majorité anglophone, le 12 novembre, que jamais les Québécois ne leur confieraient leur sécurité culturelle. Deux mois plus tard, le 12 janvier 1973, le ministre des Transports à Ottawa, Jean Marchand, lance au Parlement : « Que les Anglais nous appuient [le French power] ou qu'ils ne comptent pas sur nous pour les défendre dans la province de Québec, surtout s'ils ne sont pas prêts à se battre pour des positions fondamentales qui assureraient l'unité du pays. »

Le 14 janvier, devant des parlementaires interloqués, le Premier ministre P. E. Trudeau ajoute sa voix à celle de son collègue en traitant le Canada anglais de séparatiste, parce qu'il rejette le French power.

Campagne

L'impact du scrutin sur la politique intérieure contraste avec l'apathie qui marque la campagne électorale que mènent officiellement les quatre partis politiques à partir du 1er septembre 1972, et officieusement depuis la fin de la 28e législature du Parlement canadien, survenue le 7 juillet.

Lancé sous le thème de l'intégrité nationale par un P. E. Trudeau confiant à la veille de ses 53 ans, le marathon de soixante jours pour le pouvoir ne captive personne. D'abord, les partis claironnent leur programme politique d'un bout à l'autre du pays depuis déjà un mois et demi, donnant ainsi à l'électoral l'impression d'avoir entendu mille fois les mêmes discours ; ensuite, les Canadiens vivent dans l'attente de la première joute de la série de hockey Canada-URSS, qui débute le 2 septembre au Forum de Montréal.

Durant vingt-six jours, soit la moitié de la drôle de campagne électorale, le peuple ne s'intéresse qu'au hockey. Comparativement à la lutte que se livrent, au cours de sept joutes, les joueurs russes et canadiens, la course au pouvoir paraît grise et sans relief à l'homme de la rue. On pressent que ce dernier préfère ne pas avoir à confirmer ou à infirmer un Parlement élu avec tant d'enthousiasme il y a quatre ans.

À trente jours du scrutin, les Canadiens accueillent leurs héros sur glace qui reviennent de Moscou où ils ont remporté la victoire sur l'équipe soviétique, et les chefs de parti ne réussissent pas encore, malgré l'utilisation abondante faite pour la première fois de la radio, à susciter l'intérêt des électeurs. À des auditeurs presque indifférents, P. E. Trudeau exalte l'indépendance du Canada et signale les réalisations de son gouvernement ; R. Standfield promet de diminuer le chômage ; D. Lewis offre de discipliner les grandes entreprises au moyen d'un régime fiscal plus équitable, et R. Caouette, quant à lui, parle du salaire garanti pour tous.