Dossier

France en 22 ans le PNB passe de 100 à 1 000 milliards

1972 a marqué une date dans l'histoire économique de la France : les Français y ont produit pour la première fois 1 000 milliards de francs de biens et services (exactement 1 001,9 milliards, montant du produit national brut), soit dix fois plus qu'en 1950 (101,7 milliards). Par habitant, la croissance est un peu moins rapide : le PNB par tête, qui était de 2 430 francs en 1950, a atteint 19 350 francs en 1972.

Performance

Mais cette progression est mesurée en francs courants : elle est artificiellement gonflée par la hausse des prix. Depuis 1950, l'ensemble des prix a été multiplié par 3,3. En volume, la production n'a donc que triplé.

La performance n'en reste pas moins saisissante, et sans précédent. Il a fallu vingt-deux années pour réaliser ce triplement, alors qu'en 1950 la France produisait seulement deux fois plus que soixante ans auparavant. En effet, de l'Exposition universelle de 1889 à la grande crise de 1929, la production avait doublé, puis, dans les vingt années suivantes, affectées par la dépression et la guerre, elle avait stagné. Le niveau de 1929, rétabli en 1939, n'a été retrouvé qu'en 1948.

Avec la révolution industrielle qui a déclenché la croissance au XVIIIe et au XIXe siècle, une telle accélération du rythme du développement est le fait majeur de notre histoire économique. De 1870 à 1913, le taux de croissance s'était élevé à 1,6 % et, de 1913 à 1950, il avait tout juste atteint 0,7 % ; de 1950 à 1972, il est passé à 5,1 %...

Expansion

Le phénomène de l'expansion, que personne ne pressentait en 1950 – le mot n'existait pas ! –, ne consiste d'ailleurs pas seulement en cette spectaculaire montée en cadence. C'est également le fait que pas une seule année, depuis la guerre, la production n'a baissé en volume. Aussi, pour définir la phase descendante du cycle conjoncturel, les économistes ont-ils dû inventer un nouveau terme et substituer aux dépressions du passé des récessions où c'est le seul taux de croissance qui fléchit (en demeurant toujours positif).

Métamorphose

Cette évolution des grandeurs économiques recouvre évidemment une complète métamorphose de la vie des Français. Début 1950, le rationnement alimentaire existait encore. Le salaire minimum (SMIG), qui venait d'être créé, valait 19 400 anciens francs par mois (même compte tenu de la hausse des prix, c'est loin de nos plus de 1 000 francs, actuels !). L'Europe (à travers la proposition de la Communauté du charbon et de l'acier) sortait à peine de la guerre. Et la guerre, la France la faisait toujours en Indochine.

Quant à 1972, nous connaissons... Aussi Alfred Sauvy n'a pas tort d'imaginer que si « un homme dort pendant vingt-deux ans, le temps de faire un homme, il se réveille après avoir vécu un siècle. Éblouissement ? Épouvante ? Le dormeur se frotte les yeux... » Il s'agit d'abord de comprendre comment une telle transformation économique a été possible et quelles conséquences exactes elle a entraînées pour les Français.

L'évolution des deux ressources qui permettent d'accroître la production, le travail et le capital, explique cette croissance de la production.

Le travail

Contrairement à ce que l'on pouvait croire, ce n'est pas l'augmentation purement quantitative de la ressource en travail qui peut expliquer celle de la production. Au contraire, la contribution fournie par le facteur travail a même été négative au cours de la période, au moins dans les branches productives (qui excluent, à la différence du PNB, les services des administrations et des domestiques) : le nombre des travailleurs y a diminué de 1946 à 1968. Quant à la durée du travail, elle a également eu plutôt tendance à se réduire : l'extension des congés payés de deux à quatre semaines (ce sont les plus longs d'Europe) n'a pas été compensée par l'allongement de la durée hebdomadaire (devenue la plus longue d'Europe).

L'amélioration de la formation des travailleurs et les migrations professionnelles ont en revanche alimenté la croissance. Grâce à l'extension et à la démocratisation de l'enseignement (sur 100 enfants, le nombre de ceux qui accèdent au second degré est passé de 12 à 80) ainsi qu'aux progrès de la formation professionnelle, la qualité du travail fourni s'est améliorée.