Le président libyen se comporte davantage comme un militant que comme un chef d'État. Il paraît animé par deux passions : la haine du communisme et des États qui se réclament de cette idéologie ; la volonté de détruire l'État d'Israël afin de restituer le territoire qui fut la Palestine aux Arabes palestiniens. Pour atteindre ce double objectif, il tient deux fers au feu : le panarabisme et le panislamisme, dont il s'est fait le chantre.

Idéologie

Il propose aux Arabes, aux Africains, aux peuples du tiers monde ce qu'il nomme « la troisième doctrine », une idéologie encore nébuleuse qui serait l'antithèse à la fois du capitalisme et du communisme, et qui ouvrirait la voie à la libération du colonialisme classique ainsi que de l'impérialisme moderne. Se présentant comme un redresseur de torts, il prône le recours à la violence (il fournit des armes aux insurgés irlandais), il soutient les Palestiniens dans leurs luttes armées.

Le colonel Kadhafi, dont les services n'auraient pas été étrangers à l'organisation de l'attentat contre les athlètes israéliens à Munich en septembre, fournirait des fonds, des armes et le soutien logistique aux membres de Septembre noir. Certains croient savoir qu'une branche autonome de cette organisation palestinienne serait sous le contrôle direct de Tripoli. C'est d'ailleurs dans la capitale libyenne que sont conduits, le 31 octobre 1972, les fedayin survivants du massacre de Munich.

Le culte de la violence qu'il pratique le conduit jusqu'à exprimer de l'admiration pour l'État juif. « Israël, déclarait-il le 9 février, a fait montre d'un courage remarquable en décidant en 1967 d'entrer en guerre et en attaquant témérairement les pays arabes. » Il ajoutait que les Arabes devraient suivre cet exemple, car ils n'ont pas d'autres moyens de récupérer les territoires occupés. Pour le chef de l'État libyen, cependant, l'objectif ne devrait pas être seulement la libération des régions conquises en 1967, mais aussi le territoire sur lequel l'État d'Israël a été instauré en 1948. Il s'en prend à l'Égypte pour avoir accepté la résolution 242 du Conseil de sécurité qui prévoit, dans le cadre d'un règlement global, la reconnaissance de l'indépendance et la souveraineté de l'État juif.

Le colonel Kadhafi, toujours dans ses déclarations du 9 février, qualifie de « mythe » la création par le Conseil de défense arabe d'un commandement militaire unifié. Il tourne en dérision les préparatifs militaires de tous les pays arabes, y compris de l'Égypte et de la Syrie – pourtant les partenaires de la Libye dans l'Union des républiques arabes –, en affirmant que ces préparatifs « relèvent de la manœuvre politique ». Le cas échéant, ajoute-t-il, il se rangerait aux côtés des fedayin contre le commandement arabe unifié. Il admet qu'en raison de leur impréparation les Arabes – en particulier les égyptiens – commettraient une « grave erreur stratégique » en déclenchant des hostilités à brève échéance.

La résistance palestinienne ne tarde pas, à son tour, à décevoir le colonel Kadhafi. En juin 1972, le chef de l'État libyen avait lancé un appel pour le recrutement de volontaires disposés à se battre aux côtés des fedayin. En août, Yasser Arafat révélait que 8 000 Arabes s'entraînaient en Libye. Le 25 avril, le colonel Kadhafi, après avoir rappelé les volontaires qui s'étaient rendus en Syrie et au Liban, proclame la faillite de la résistance palestinienne. Il en rejette la responsabilité, une fois de plus, sur les Arabes qui, en collaboration avec Israël, l'ont détruite. Il reproche aux pays limitrophes de l'État juif d'avoir réduit les fedayin à l'impuissance en leur niant le droit de s'infiltrer en territoire ennemi. Amer, le colonel Kadhafi révèle d'autre part que ses concitoyens ont été peu nombreux à rejoindre la résistance palestinienne ou même à s'engager dans l'aviation libyenne.

Le colonel Kadhafi s'efforce ainsi de justifier sa passivité à la suite de la destruction, le 21 février, d'un Boeing libyen par l'armée de l'air israélienne. Non seulement, déclare-t-il, il ne disposait pas de pilotes compétents et en nombre suffisant pour riposter à l'agression, mais il s'était heurté à l'opposition de ses alliés – l'Égypte et la Syrie – quand il proposa l'organisation de représailles communes.

Panarabisme

À ce mal, le président libyen propose le remède d'un panarabisme rénové. Il dénonce, le 7 octobre, la désunion des Arabes, les alliances que ceux-ci ont contractées soit avec les impérialistes occidentaux, soit avec les impérialistes communistes, aggravant ainsi leur dépendance de l'étranger, leurs contradictions, leurs incohérences. Il souhaite que la Ligue arabe se transforme en organisation militante, que sa direction soit confiée non à des diplomates mais à des révolutionnaires.