La création d'un tribunal militaire spécial et l'examen de l'affaire par le Conseil national (qui regroupe toutes les personnalités du pays) traduisent la volonté des dirigeants ivoiriens de demander à l'armée elle-même de tirer les leçons qui s'imposent, tout en maintenant le dialogue avec la totalité des responsables du parti unique. C'est une amère déception pour le chef de l'État, qui n'avait cessé d'associer de plus en plus étroitement les éléments les plus jeunes de l'élite ivoirienne à la conduite des affaires de l'État.

Déception

À cette déception s'ajoute celle de l'échec des projets de constitution d'une Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest (CEAO). Créée à Bamako en juin 1972, celle-ci est contestée dans son principe même par certains des États issus de l'ancienne Afrique-Occidentale française : Guinée, Mauritanie, Dahomey et Togo.

Les efforts tentés par le président de la République ivoirienne pour réconcilier la Guinée avec l'ensemble des États francophones restent sans lendemain. Le 24 juillet 1972, Félix Houphouët-Boigny, entouré de quelques-uns de ses plus proches collaborateurs, se rend à Faranah (village natal de Sékou Touré) pour y rencontrer le chef de l'État guinéen. Mais, à la suite du refus de F. Houphouët-Boigny aux demandes impératives qui lui sont faites de livrer des opposants guinéens qui avaient trouvé asile politique en Côte-d'Ivoire, ce qui s'annonçait comme une rencontre historique est resté un événement mineur.

Toujours soucieux de s'intégrera une organisation regroupant les différents États du Maghreb, les dirigeants mauritaniens posent à leur adhésion à la CEAO des conditions si intransigeantes que cette attitude équivaut à les maintenir à l'écart de la Communauté.

Quinze ans après l'éclatement de l'ancienne fédération d'AOF, les chefs des États de l'Afrique de l'Ouest ne parviennent pas à reconstituer l'unité perdue. La balkanisation semble irréversible et la CEAO, réduite à la Côte-d'Ivoire, au Niger, à la Haute-Volta, au Mali et au Sénégal, apparaît comme un cadre juridique vide de toute réalité économique et politique.

Air Afrique

Les relations entre Dakar et Abidjan se tendent au mois de juin 1972, à la suite de ce que l'on appelle l'affaire Cheikh Fal.

Président-directeur général de la Société de navigation aérienne Air Afrique, qui regroupe onze États d'Afrique francophone, Cheikh Boubacar Fal, citoyen sénégalais, est en butte à la vindicte du président Léopold Sédar Senghor. Décidé à éliminer un homme qui se pose en concurrent politique, l'homme d'État sénégalais fait pression sur ses collègues pour obtenir la destitution de Boubacar Fal de la présidence d'Air Afrique. L'intéressé fait face et rencontre quelques appuis, notamment auprès des dirigeants ivoiriens.

Tout en affirmant ne pas vouloir s'immiscer dans les affaires internes du Sénégal, Félix Houphouët-Boigny cherche, au nom de l'intérêt général des États-membres d'Air Afrique, à retarder le limogeage de B. Fal. Ne pouvant s'opposer au droit souverain du Sénégal de se faire représenter au conseil d'administration de la compagnie comme il l'entend, Houphouët-Boigny cherche à atténuer la portée psychologique et pratique de la mesure prise à l'encontre de l'ancien président-directeur général. Il y va en effet de l'avenir du seul organisme interafricain qui ait jusqu'à présent résisté à l'épreuve du temps.

Les Ivoiriens essaient de faire admettre que B. Fal peut être le conseiller technique de son successeur. Les Sénégalais s'y refusent. La Côte-d'Ivoire menace de quitter Air Afrique.

Toute la cohésion de l'ensemble africain francophone est soumise à rude épreuve avec l'affaire Fal. Le rapprochement intervenu en 1971 entre le Sénégal et la Côte-d'Ivoire, qui, depuis dix ans, vivaient en mésentente, se trouve remis en question. La situation est d'autant plus délicate que, parmi les autres griefs ivoiriens à l'encontre de L. S. Senghor, figure son attitude intransigeante à l'égard de l'ancien président Mamadou Dia, détenu depuis onze ans, condamné pour tentative de coup d'État et que le président du Sénégal refuse de gracier.

Expansion

Un thème de satisfaction demeure pourtant pour le président de la République de Côte-d'Ivoire : la poursuite de l'expansion bien que certains experts continuent de remettre en cause le miracle économique ivoirien.