Dans les années cinquante, le Nord-Pas-de-Calais apparaît comme une région industrielle extraordinairement puissante, avec l'énergie, l'acier, le textile et une agriculture en pointe. Un slogan fleurit : « Le Nord, région pilote. » Et, là-dessus, tout le monde s'endort. Il y a bien quelques prophètes de malheur. Mais ils poussent leur cri d'alarme dans un désert. L'État lui aussi laisse aller.

Réveil brutal, douloureux. Tous les piliers sur lesquels le Nord a bâti sa vieille puissance économique s'abattent ou vacillent en même temps : le textile c'est la crise ; l'agriculture c'est l'exode ; le charbon c'est le commencement de la fin. 1966, 67, 68, la courbe des demandes d'emploi non satisfaites grimpe de façon vertigineuse. Et, le 11 mai 1968, 30 000 personnes défilent à Lille, réclamant du travail pour la région.

Deux jours plus tard, le 13 mai, un comité interministériel extraordinaire est consacré au Nord-Pas-de-Calais. Ce comité sera, évidemment, dans les jours suivants, oublié, balayé. Pourtant toute l'opération relance du Nord est bien partie de là : création d'un commissariat à la conversion industrielle, pression sur diverses grandes industries pour qu'elles aillent s'installer dans le Nord. Les élus départementaux ne veulent pas être de reste : on accorde des primes aux industriels qui viendront créer des emplois sur les zones industrielles spécialement aménagées. Et, presque tout de suite, c'est une joyeuse succession de coups de tonnerre. Le charbon s'en va, voici l'automobile : Renault-Peugeot à Douvrin-La Bassée, Renault à Douai, Simca à Bouchain, Chausson vers Maubeuge. Le textile se concentre ? C'est pour mieux redémarrer. Calais se meurt, mais Dunkerque ressuscite, explose de forces nouvelles. D'ailleurs, nous assure-t-on, il n'y aura plus qu'un seul grand port de dimension mondiale Calais-Dunkerque !

Stopper l'hémorragie

Et maintenant, au bout de quatre années, que demeure-t-il de l'angoisse ? Que reste-t-il des espoirs ?

« La fièvre baisse : on était à 40, on n'est plus qu'à 39 », ironise A. Maton, président du groupe communiste au Conseil général du Nord. « Le Nord, c'est comme un avion qui roule sur une piste » s'exclame Pierre Mauroy, l'économiste du parti socialiste : « L'avion roule certes de plus en plus vite, mais pas assez pour prendre son envol. »

« Le virage est pris, rétorque le préfet Dupuch. Je ne dis pas que la partie est gagnée, mais qu'elle est gagnable. Voilà quatre ou cinq ans, le Nord avait raison d'être angoissé. Mais la convergence des mesures prises, le début de la conversion, les renforts industriels, le quadrillage autoroutier, etc. ont permis de stopper l'hémorragie. »

« On n'est plus en 1968, admet franchement André Glorieux, le président régional de la CFDT : les créations d'emplois programmées d'ici à 1975 dans la région ont modifié de façon sensible les perspectives de développement. Mais il est encore trop tôt pour se réjouir. »

Car, pensent globalement les syndicalistes, « on ne va ni assez vite ni assez loin ». « Et d'abord, constatait Jules Campel, de FO, les emplois négociés ne sont pas les emplois réellement créés. Renault-Peugeot a négocié pour Douvrin, en 1968, 5 880 emplois. Fin 71, l'effectif est de 1 500 ouvriers seulement. »

Il reste beaucoup à faire et, parfois, le plus douloureux. Ainsi, dans le domaine de la conversion minière, P. Dupuch admet qu'on a fait jusqu'ici « le plus facile », en rendant plus aisés les départs par le système des pré-retraites. Mais quand il s'agira des jeunes mineurs ? L'exode rural aussi demeure un problème entier, et qu'il ne sera sûrement pas aisé de résoudre.

Donner un élan

En revanche, il est vrai que les usines automobiles se dressent un peu partout et qu'elles pourront donner un élan à toute l'économie régionale ; il est vrai aussi que, dans ses soubresauts, le textile paraît s'en sortir et que la pieuvre industrielle recommence d'étendre ses tentacules vers Dunkerque.

Et puis il y a tout ce qui naît, insensiblement ; le préfet du Nord, encore : « Faites l'addition des emplois supprimés en cinq ans à cause de la conversion des mines, des mutations du textile, du départ des agriculteurs : combien de chômeurs devrait-il y avoir dans le Nord ? 50 000 ? Ce n'est certes pas le cas. Donc, tous ces gens ou une bonne part ont réintégré la vie professionnelle. »