Il convient également de remarquer que la procédure des crédits mis en réserve au Fonds d'action conjoncturelle n'a pas été utilisée en 1972. Le gouvernement sera gêné, si le besoin s'en fait sentir, par exemple au second semestre de 1972, pour lancer des travaux en supplément de ceux prévus au budget.

En revanche, la loi de finances lui a ménagé la possibilité de modifier la règle du butoir de la TVA (d'après laquelle les entreprises ne peuvent déduire un montant de taxes supérieur à celui qu'elles doivent au Trésor). La Communauté européenne avait d'ailleurs donné des directives tendant à la suppression de cette règle. C'est ce que le gouvernement a fait, au moins partiellement, dès janvier 1972. Il a décidé de rembourser 1,2 milliard de francs aux entreprises créditrices du Trésor par le jeu du butoir.

Au début de l'année, il a également avancé 4,5 milliards de francs de dépenses du second au premier semestre de 1972 : 2 milliards pour les entreprises nationales, et le reste pour le bâtiment et les travaux publics. En même temps, il a inauguré une série de baisses dans les taux d'intérêt et préparé un plan de relance de l'investissement privé. Le coût de toutes ces mesures devait faire apparaître un déficit de plusieurs milliards dans l'exécution du budget de 1972.

Cette pression des dépenses et cette modération des recettes ont sérieusement limité l'ampleur des mesures à caractère social contenues dans la loi de finances. La plupart sont la conséquence de décisions antérieures : concernant l'allocation de salaire unique, par exemple, doublée pour les titulaires de bas revenus et supprimée pour les plus aisés, ou bien l'aide aux handicapés. Pour les vieux, l'allocation minimale est passée à 10 F par jour au 1er janvier 1972, et à 10,55 F au 1er octobre. L'allègement de 3 % du barème de l'impôt sur le revenu accordé aux salariés et promis aux non-salariés (après les 2 % obtenus en 1971) a été reporté à 1973, sauf pour ceux qui gagnent moins de 15 000 F par an (ils sont 1,1 million).

Pour tenir compte de la hausse des prix (et éviter qu'à elle seule elle n'entraîne une aggravation de l'impôt), les tranches du barème ont été relevées de 7 % pour la première tranche à 5 % pour les plus élevées : grâce à certains aménagements, les petits contribuables ne sont pas plus frappés par la progressivité du barème que les revenus élevés — mais pas moins... En particulier, les majorations exceptionnelles n'ont pas été supprimées sur les fortes impositions, mais seulement réduites : 1 % pour les cotisations comprises entre 15 000 et 20 000 F, 2 % au-delà. Les réductions de 15 à 2 % sur les impositions de moins de 5 000 F ont été maintenues. Pour financer ces dispositions, l'impôt spécial sur les banques a dû être reconduit.

Registres fiscaux

En 1972, les actions sociales propres à la nouvelle société comme l'uniformisation des régimes d'imposition des salariés et des non-salariés ont donc marqué une pause. Il est vrai que ces deux orientations avaient quelque chose de contradictoire. Peu de progrès ont été accomplis dans la connaissance des revenus non salariaux — ce qui est pourtant la condition de leur rapprochement avec les salaires. Ce n'est pas la consultation possible des registres fiscaux, à partir de 1973, qui bouleversera la situation...

Quant à la Nouvelle société, son éclat a été quelque peu terni par le débat qui s'est ouvert, fin 1971, sur l'emprunt Pinay, puis, surtout, en 1972, sur l'avoir fiscal, après la publication de la feuille d'impôts (vierge) du Premier ministre lui-même.

L'avoir fiscal, institué en 1965, a pour but d'alléger la fiscalité sur les bénéfices distribués par les entreprises à leurs actionnaires, afin de stimuler les placements d'épargne en Bourse. Le mécanisme est complexe, car ses auteurs ont voulu éviter que des capitaux réfugiés à l'étranger en bénéficient. Dès lors, des contribuables peuvent, effectivement, ne pas payer l'impôt sur les revenus des personnes physiques si celui-ci est inférieur au crédit sur le fisc dont ils bénéficient au titre de détenteurs d'actions. De fait, par rapport au système antérieur à la loi de 1965, l'avoir fiscal fait économiser un peu plus d'un milliard d'impôts par an aux actionnaires. Sans que la Bourse ait été stimulée pour autant... Les défenseurs du système font valoir que celle-ci aurait pu être encore plus mauvaise et que, par rapport aux systèmes équivalents qui existent à l'étranger, l'avoir fiscal est le plus équitable. En réalité, le débat met en cause tout le système de la fiscalité française et, au-delà, le régime économique lui-même.