L'affaire dite des impôts du Premier ministre est d'une autre nature. Avec photocopies de ses déclarations fiscales à l'appui, diverses feuilles reprochent à J. Chaban-Delmas, à la fin de 1971, d'avoir, par le double jeu des exonérations particulières dont il bénéficie à raison de ses fonctions et de l'avoir fiscal sur les valeurs mobilières, payé peu d'impôts dans les années précédentes. Le Premier ministre tarde à répondre ; la querelle s'envenime et débouche sur deux débats politiques. Dans l'un, le chef du gouvernement, rompant enfin le silence, s'explique devant l'opinion dans une interview radiotélévisée. Dans l'autre, le principe et le terme de l'avoir fiscal sont amplement critiqués, et la discussion s'étend bientôt à d'autres aspects de la fiscalité, ou plutôt de ses exceptions, notamment le problème de l'emprunt Pinay, qui avait déjà fait l'objet de vifs échanges à l'occasion d'un amendement de Jacques Marette prévoyant la suppression de ses privilèges, au cours du débat budgétaire. J. Chaban-Delmas saisira ensuite diverses occasions — le Congrès des jeunes gaullistes de l'UJP, un voyage dans le Nord et le Pas-de-Calais au début de mars — pour développer sa réplique et retrouver sa physionomie.

On a également rangé dans les scandales, et très vite, les tribulations judiciaires d'un membre du gouvernement, Philippe Dechartre, amené à donner sa démission en mai après avoir été mis en cause pour une affaire d'équipement et d'aménagement de l'île de Ré. Il était remplacé au secrétariat d'État au Travail par Léo Hamon, gaulliste de gauche comme lui, auquel un jeune député UDR, Jean-Philippe Lecat, succédait comme porte-parole du gouvernement. Scandale aussi que l'affaire Dega, un contrôleur du fisc du XIVe arrondissement, convaincu de concussion, arrêté, tandis que plusieurs de ses clients étaient poursuivis. Scandales encore que la révélation par la justice américaine d'un trafic de drogue qui aurait eu ses racines au sein du service de contre-espionnage français, le SDECE, théâtre de sombres règlements de comptes et dirigé par un ami personnel du chef de l'État, Alexandre de Marenches, nommé à sa tête l'année précédente pour y remettre de l'ordre. Scandale enfin et surtout que l'affaire dite de la publicité clandestine à l'ORTF, qui devait elle aussi déboucher sur le plan parlementaire et politique.

Ce sont deux rapports de commissions ou missions parlementaires, signés respectivement par André Diligent au Sénat, Alain Griotteray et Joel Le Tac au Palais-Bourbon, qui ont d'abord fait apparaître que certains collaborateurs de la télévision avaient reçu des pots-de-vin pour vanter certains produits ou avaient indûment prélevé une dîme sur le fruit de quêtes et appels à la générosité publique. Bien vite, cependant, la controverse est passée de ce plan limité, où quelques sanctions ont été prises, au problème plus sérieux des structures et de l'organisation générale de l'ORTF, à la mise en question du monopole d'État. Dans le grand lessivage de mai, cette série de sanctions et de démissions provoquées pour illustrer la remise en ordre et la reprise en main après le référendum, Pierre de Leusse, président de l'Office, et J.-J. de Bresson, son directeur général, étaient emportés et se retiraient.

Un secrétaire d'État, Philippe Malaud, élaborait en hâte un projet de réforme qui consistait essentiellement à concentrer toutes les responsabilités aux mains d'un président-directeur général, élu pour trois ans par un conseil d'administration un peu élargi et remanié. Rapportée devant l'Assemblée par Edgar Faure, cette réforme de circonstance était vite adoptée et mise en œuvre en attendant la prochaine crise.

Mais laissons là cette rubrique pour celle, non moins abusivement chargée d'événements fort disparates, de l'agitation. C'est un fait que la violence a conquis, au cours de cette année, un peu plus nettement chaque jour droit de cité. C'est également un fait que les objets des manifestations ou des attentats qui ont fait couler le sang se sont multipliés et ont intéressé des catégories sociales très diverses.