Les oscillations pendulaires du néo-centrisme d'opposition entre la majorité et la gauche devaient dès lors répondre aux alternances de rapprochement et d'affrontement des socialistes et des communistes. Tantôt l'accord entre J.-J. Servan-Schreiber et J. Lecanuet, étendu à l'occasion à quelques partenaires — Émile Muller du petit parti social-démocrate, Jacques Soustelle de Progrès et liberté, Jean-Paul David du parti libéral européen, André Morice, etc. — semble assez solide. Tantôt les deux associés paraissent se séparer, l'un regardant avec sympathie le centrisme majoritaire de Jacques Duhamel, René Pleven, Joseph Fontanet (Centre démocratie et progrès) qui contrôle presque tout le groupe parlementaire du centre à l'Assemblée nationale, l'autre cherchant l'alliance des socialistes. Puis on se retrouvait — pour répondre « oui » au référendum, par exemple — avant de diverger à nouveau. J.-J. Servan-Schreiber devait compter avec la minorité de son parti, conduite par son prédécesseur à la présidence, Maurice Faure, que suivaient la plupart des députés radicaux, élus en 1968 grâce aux désistements de la gauche, voire de l'extrême gauche. Jean Lecanuet semblait enclin à envisager son ralliement à la majorité ; parfois son brillant partenaire radical tirait dans le même sens et même le devançait dans cette voie, parfois au contraire il adoptait des attitudes violemment oppositionnelles. Il n'était pas jusqu'aux républicains indépendants de Valéry Giscard d'Estaing, associés avec l'UDR et les centristes duhaméliens dans la majorité et au pouvoir, qui exerçaient une certaine attraction sur le centrisme d'opposition.

Au fond, tout le dilemme reposait, pour les uns et les autres, sur le point de savoir laquelle de ces trois hypothèses se vérifierait au lendemain des élections législatives : ou bien l'UDR conserverait à elle seule la majorité absolue (242 sièges) et, n'ayant besoin de personne pour gouverner, elle pourrait maintenir son omnipotence sur les giscardiens et les centristes ; ou bien l'UDR, tout en perdant la majorité absolue, demeurerait la majorité de la majorité et pourrait se contenter de concessions relativement minimes à ses associés ; ou enfin, la coalition des trois formations serait contrainte, pour garder l'avantage sur la gauche, de s'ouvrir aux centrismes d'opposition, au prix cette fois de larges et importants changements d'orientation, de méthodes et de politique.

Ainsi, une fois de plus, pour l'opposition, pour les centres comme pour la majorité, c'est la perspective électorale qui bouchait l'horizon, dictait toutes les évolutions et expliquait toutes les querelles. Une double perspective d'ailleurs : car, par-delà les supputations et les manœuvres sur le choix des députés de la législature 1973-1978, on voyait déjà se profiler l'ambition de quelques candidatures — celles de François Mitterrand et Jean-Jacques Servan-Schreiber d'un côté, de Jacques Chaban-Delmas et de Valéry Giscard d'Estaing de l'autre — à la succession, en 1976, de Georges Pompidou — s'il décidait le moment venu de ne pas se représenter.

On ne s'étendra pas ici sur les scandales de ces mois agités, pour la raison déjà dite qu'ils furent plus des épiphénomènes, de simples conséquences de la fièvre électorale qu'un élément des vrais débats de fond. Pour la raison aussi que sous cette étiquette commode on rangea pêle-mêle des trafics, compromissions et escroqueries diverses, des révélations plus ou moins fracassantes et plus ou moins controuvées intéressant la vie privée de personnages publics et des fautes de gestion d'ordre administratif, financier ou technique.

Les scandales et l'agitation

La principales des affaires éclate dès le début de juillet 1971. Elle concerne deux sociétés civiles immobilières, La garantie foncière et Le patrimoine foncier. Le fondateur de cette dernière, Claude Lipsky, cherche bientôt refuge en Israël — d'où il reviendra le 23 mars 1972 pour être aussitôt emprisonné — tandis que le directeur en droit est un député UDR, André Rives-Henrÿs. Le cas de ce parlementaire ne cessera de défrayer la chronique et de nourrir les réquisitoires contre le régime, à travers le plaidoyer qu'il prononce à la tribune en novembre 1972, son exclusion de l'UDR, les péripéties judiciaires du krach, jusqu'à ce qu'en mai 1972, bien tard, trop tard sans doute, il soit contraint d'abandonner son mandat. D'autres sociétés analogues, d'autres personnages politiques, Me Victor Rochenoir, gaulliste de gauche, André Roulland, ancien député UDR — que le président de la République, dont il fut le collaborateur, présente à sa conférence de presse de septembre 1971 comme « un naïf plutôt qu'un escroc » — sont mêlés à ce trafic qui n'a pas fini d'encombrer les prétoires et les rôles de la justice.