Pour quelles raisons le directeur du BDPA s'est-il ainsi aventuré où il n'a en principe rien à voir ? En fait, le colonel Barberot connaissait bien Delouette, qui avait fait partie de l'organisme de coopération qu'il dirigeait. C'est même à Cuba, où il travaillait dans la riziculture, que Roger Delouette avait été recruté par un officier du SDECE, le capitaine Sentenac, pour devenir « notre agent à La Havane ».

Cependant le directeur du BDPA avait été agacé de voir ses bureaux qualifiés quelquefois dans la presse d'officine de barbouzes. De plus, il entretenait des relations amicales avec le capitaine Sentenac et d'autres officiers qui avaient contribué à la formation d'agent secret de Delouette, et il avait été, semble-t-il, outré de la façon dont ceux-ci avaient été dépeints. Il estimait peut-être, d'autre part, que c'était à la suite de calomnies et d'une machination des éléments douteux dont il avait dénoncé la présence boulevard Mortier que ces officiers avaient été éliminés des services secrets quelques mois plus tôt. Sous des prétextes qui, au demeurant, n'avaient rien de commun avec l'affaire Delouette.

Ce dernier, en mettant en cause le colonel Fournier-Ferrère devant la police américaine, espérait-il bénéficier des faveurs que la loi des États-Unis accorde aux dénonciateurs ? En avril 1972, il est condamné à une peine relativement légère : cinq ans de prison.

Mais en France l'affaire n'est pas finie. Le juge Roussel, après s'être rendu outre-Atlantique pour entendre le trafiquant (qui, d'ailleurs, réitère ses accusations contre le colonel Fournier), poursuit ses activités au mois de juin 1972.

L'ETEC : chantage et extorsion de fonds

ETEC : ce sigle était censé correspondre à une honorable entreprise, la société d'Études techniques économiques et commerciales, confortablement installée 65, boulevard de Courcelles, à Paris.

Or, derrière cette façade, se dissimulait une officine spécialisée dans l'extorsion de fonds, le trafic d'influence et le chantage. Détail pittoresque : son principal animateur, Charles Lascorz, avait réussi à noyauter l'Ordre souverain et militaire du Temple de Jérusalem. Au nom de quoi il procurait des titres ronflants à ses dupes et organisait des cérémonies où les participants apparaissaient vêtus de longues capes blanches ornées d'une croix de Malte.

Pour compléter le tableau, le patron de l'ETEC, Charles Lascorz et quelques-uns de ses complices avaient fait partie du Service d'action civique, qui était à l'origine une association de soutien à l'action du général de Gaulle. S'ils en avaient été exclus, ils avaient toute l'apparence d'avoir néanmoins conservé d'importantes relations dans des milieux proches du pouvoir.

C'est, en tout cas, ce qu'ils faisaient valoir auprès de leurs victimes. L'une d'elles, Ponsot, gérant d'une entreprise de travaux publics, devait raconter comment Lascorz lui avait été présenté comme un personnage susceptible d'arranger ses difficultés financières et de lui procurer certains marchés. À partir de là, il fit, dit-il, l'objet, en 1970, d'un chantage accompagné de violences, de coups et de l'extorsion d'une somme de 500 000 F. Lors de la perquisition opérée par la police, en décembre 1971, dans les bureaux du boulevard de Courcelles, Charles Lascorz, dit Charly, parvient à fausser compagnie à la police. L'animateur de l'ETEC se réfugie en Espagne. Cependant son extradition fut demandée et obtenue au mois de mars 1972.

Des prisons qui se révoltent et qui révoltent

De nombreux mouvements de révolte ont secoué l'intérieur des prisons ; à l'extérieur, ils ont fortement remué l'opinion, qui a été conduite à s'interroger sur ce qui se passait au-delà des murs et à se demander si le régime pénitentiaire est bien adapté aux objectifs qu'on lui assigne traditionnellement : l'amendement des condamnés et leur mise hors d'état de nuire.

Deux faits divers dramatiques ont montré que le système de surveillance dans les maisons d'arrêt et les centrales ne suffisait pas à paralyser totalement les criminels endurcis. À Lyon, à la fin de juillet 1971, un détenu se saisit d'un revolver placé dans un colis de linge qui lui est adressé et blesse mortellement un surveillant. À Clairvaux, le 22 septembre, on voit pis encore. Deux réclusionnaires, dont Claude Buffet, qui s'était rendu déjà tristement célèbre par l'assassinat de Mme Besimensky (Journal de l'année 1966-67), recourent pour obtenir leur libération à un moyen devenu classique : la prise d'otages en la personne d'un gardien et d'une infirmière. Devant l'échec de leur chantage et avant d'être maîtrisés, les deux hommes n'hésitent pas à égorger leurs victimes.