Pour que le gouvernement ne s'empêtre pas dans le marécage de la télévision, Jacques Chaban-Delmas décide de lâcher du lest : trois jours seulement après avoir défendu les dirigeants de l'Office, il les sacrifie. Un communiqué de l'hôtel Matignon indique, le 13 mai, que les démissions de Jean-Jacques de Bresson (directeur général) et Pierre de Leusse (président du conseil d'administration) sont acceptées.

Projet de réforme

Lorsque, le 23 mai, le débat de politique générale s'ouvre à l'Assemblée, la position du Premier ministre s'est quelque peu renforcée. Ceux qui, aux yeux de l'opinion publique, portent une part de responsabilité dans les scandales, ne sont plus en place. Des réformes sont mises en chantier : le secrétaire d'État chargé de la fonction publique, Philippe Malaud, doit présenter des propositions « visant à assurer un meilleur fonctionnement du service public qu'assume l'Office dans le cadre du monopole ». Bien décidée à retrouver son leader, la majorité ne peut qu'approuver ses déclarations concernant l'ORTF : « On a reproché au gouvernement d'avoir été hésitant : la vérité est qu'il a été scrupuleux. Aucune sanction n'a été ou ne sera prise dont le bien-fondé ne soit indiscutable. Quant à l'avenir, aucun agent public ne peut aujourd'hui douter que s'il abuse des pouvoirs qui lui sont confiés ou s'il manque à ses devoirs, il sera, à son tour, durement et justement châtié. » La confiance est votée au gouvernement avec une confortable majorité.

Philippe Malaud présente, le 7 juin, son projet de réforme au Conseil des ministres. Au sommet de la pyramide devra se trouver un président-directeur général désigné pour trois ans par le Conseil des ministres. Il sera assisté par quatre directeurs (coordination des programmes, personnel, administration et finances, services commerciaux) ; six régies seront créées (radiodiffusion, 1re chaîne TV, 2e, 3e chaîne TV, diffusion, production) qui auront à leur tête un directeur responsable devant le PDG et le Conseil d'administration de l'Office et qui disposeront d'un budget autonome ; deux établissements publics s'occuperont des émissions vers l'étranger et des programmes pédagogiques ; un nouveau statut sera prévu pour les directeurs des unités d'information.

Le Conseil d'administration de l'Office comprendra de 12 à 24 membres représentant paritairement l'État et les auditeurs et téléspectateurs, la presse écrite et le personnel de l'Office. Deux points originaux : la création d'un droit de réponse et l'obligation, pour l'Office, dans le cadre du service public qui est réaffirmé, d'assurer un minimum d'information en cas de grève.

Replâtrage

Ce projet, conçu à la hâte, déçoit ceux qui s'attendaient à des réformes profondes— pour beaucoup, il ne s'agit que d'un « replâtrage » — et il provoque l'hostilité de ceux qui craignent le démantèlement de l'Office et le renforcement de la mainmise de l'État. Cela se traduit par des grèves et des défilés dans les rues.

Le 15 juin, Edgar Faure, nommé rapporteur, défend le projet Malaud devant l'Assemblée nationale. Estimant que « la notion des programmes est à concevoir de manière à ne pas favoriser l'affairisme et le mercantilisme », il réaffirme le principe du monopole de l'État. Les députés lui donnent raison en repoussant un amendement des républicains indépendants favorables à la création d'une chaîne de télévision privée. Edgar Faure se prononce pour un droit de réponse exceptionnel (uniquement pour les personnes physiques), pour le développement du réseau des délégations régionales, pour que le contrôle du Parlement ne soit plus limité à des tâches de contrôle a posteriori. La réforme est adoptée, à l'issue d'un débat assez terne, par 363 voix contre 100 et 9 abstentions, ainsi qu'un amendement prévoyant que la publicité de marque ne pourrait pas excéder 25 % du total des recettes de l'Office.

Rejet du Sénat

« Ce projet, c'est un chèque en blanc qu'on nous demande de signer », déclare un député. Les sénateurs, eux, refusent de l'examiner dans la hâte d'une fin de session. Il ne leur paraît pas de nature à garantir la complète indépendance de l'Office vis-à-vis du gouvernement : la nomination du PDG par le Conseil des ministres et la composition du Conseil d'administration sont, en effet, en complète opposition avec l'autonomie de la télévision et comportent de lourdes menaces pour la liberté de l'information. Aussi, refusant, « dans un faux débat, de cautionner un faux problème », les sénateurs adoptent par 176 voix contre 96 la question préalable déposée par la commission chargée d'examiner le projet de loi. Sans même avoir été étudié au fond, le projet est donc repoussé en première lecture. Mais l'Assemblée nationale vote au second tour le projet, et le gouvernement obtient le statut qu'il désirait.