La tendance opposée à cette lecture de l'Évangile et du monde est illustrée au mieux par le document d'étude Église et pouvoirs de la FPF, bien qu'il puisse l'être par un nombre considérable d'autres faits, aussi bien en Europe qu'ailleurs. Ici, la lecture ne part pas de la nature divine du Christ reçue comme axiome, mais plutôt de sa nature humaine et de son irruption dans la réalité existentielle des hommes de ce temps. La FPF a pu diffuser un texte semblable parce qu'elle n'est pas une Église mais une fédération d'Églises et d'organismes de jeunes et d'adultes, souvent très peu traditionnels. Elle s'adresse cependant à un public de plus en plus partagé entre les deux tendances. Cela s'est vérifié en France comme en Suisse à propos de problèmes aussi brûlants que l'objection de conscience (inculpation du pasteur René Cruse, secrétaire général du Mouvement international de la réconciliation, manifeste de 32 prêtres et pasteurs suisses disant non à l'armée), que les prisons et les grèves de la faim à leur sujet, que la vente d'armes aux nations pauvres ou totalitaires...

Ainsi, la FPF, comme les Églises protestantes ou non, a dû entrer dans l'arène politique au nom d'une conscientisation nouvelle des exigences politiques de l'Évangile. Comme cela avait été le cas des réformés, des luthériens et des baptistes en 1970, on aura vu les comités exécutifs de l'ARM, de la FLM, en 1971, et même le Conseil méthodiste mondial (CMM) réuni à Denver (USA) du 17 au 26 août 1971, séculariser leurs structures et adopter une attitude hardie à l'égard des grands problèmes de politique internationale.

En novembre 1969, l'Assemblée générale triennale de la FPF eut pour thème central : Quel développement et pour quel homme ? Ce sujet, d'allure à la fois théologique et économico-politique, provoqua en retour la question de chrétiens du tiers monde : « Et si notre sous-développement matériel était dû à votre surdéveloppement technique, ne serait-ce pas en raison de l'ambiguïté de votre situation d'Églises de riches en pays riches ? » Pour conclure, l'Assemblée se termina sur cinq recommandations pratiques relatives au développement, dont celle-ci : constatant que les problèmes du développement que l'Église rencontre ont tous des aspects politiques, nous demandons que la FPF encourage les Églises à s'interroger avec sincérité sur les rapports de fait qu'elles entretiennent avec les pouvoirs économiques et politiques en place, et qu'elles se demandent quelles relations correspondraient réellement à leur mission. C'est de là qu'est né le document intitulé Église et pouvoirs, rédigé par six théologiens et économistes, réformés et luthériens.

Un écho considérable

Ce document, soumis pour étude à tous les organismes, communautés et groupes, a rencontré un écho considérable dans l'ensemble de la presse française et étrangère, ainsi que dans le grand public. Traduit aussitôt en plusieurs langues, ce texte de quelques pages a suscité un grand intérêt dans tous les milieux ainsi que de vives réactions, parce qu'il tranche radicalement, par la forme et le fond, avec la tonalité dont use habituellement l'Église. Loin d'être un vœu pieux, c'est une analyse socio-économique rigoureuse de la société actuelle dont les caractères essentiels sont considérés comme incompatibles avec l'Évangile. Il propose alors deux attitudes collectives à l'égard de cette société : le réformisme hardi et, surtout, la révolution.

Il était donc inévitable que ce document provoque à la fois des réactions passionnelles négatives du fondamentalisme de tout acabit et des réactions positives de jeunes et de moins jeunes engagés politiquement, pour lesquels il est devenu impensable que l'Église puisse parler de cette façon.

Ainsi, parallèlement aux événements internes aux Églises issues de la Réforme, comme les entretiens luthéro-anglicans (Lantana [USA] sur le problème des ministères) ou luthéro-réformés (New York et Leuenberg [Suisse] — concluant à un accord doctrinal total entre ces deux familles protestantes), il est incontestable qu'un certain nombre de faits ont consacré une nouvelle forme de division chrétienne entre croyants qui, peu à peu, ne parlent plus le même langage. Les chrétiens semblent plus coupés aujourd'hui par cette ligne de partage entre deux façons de signifier la personne du Christ qu'ils ne le furent entre anglicans, réformés luthériens ou catholiques romains.