C'est bien dans ce sens, pourtant, que progressent les travaux des biologistes. Pour l'instant, cette manipulation, que les Anglo-Saxons appellent genetic engineering (génie génétique), concerne surtout les microbes. Elle ne s'exerce encore que sur des cellules ordinaires et non sur celles qui transmettent d'individu à individu l'essentiel, c'est-à-dire le patrimoine héréditaire de l'espèce.

Des microbes à l'homme, le pas qui reste à franchir est énorme. Mais personne ne peut dire qu'il ne le sera jamais. Les progrès spectaculaires acquis ces derniers mois laissent croire, au contraire, que les biologistes pourraient aller très vite en besogne.

On commence à isoler et à photographier les gènes. On tente de les reconstituer par synthèse et, tout récemment, de les transplanter d'un individu à un autre et même d'une espèce à une autre.

Trois jeunes chercheurs de l'Institut national de la santé de Bethesda, près de Washington, Carl Merril, Mark Geier, John Metricciani, ont fait sensation, en octobre 1971, en annonçant la réussite d'une surprenante expérience : la transplantation d'un gène de microbe dans les cellules humaines d'un fragment de tissu cultivé en laboratoire.

Le gène ainsi transplanté était celui qui, chez la bactérie, assure la production d'une enzyme chargée de transformer un sucre, le galactose. Le tissu humain où fut transféré ce gène, par l'intermédiaire d'un virus, avait été prélevé sur des enfants atteints d'une maladie héréditaire, la galactosémie, au cours de laquelle cette transformation du galactose est précisément suspendue, ce qui provoque des troubles graves.

On comprend tout l'intérêt — encore théorique — de cette expérience. Elle tend à montrer qu'il ne serait sans doute pas impossible de corriger un jour de tels troubles héréditaires, en modifiant le fonctionnement d'un organisme par l'introduction du gène manquant ou déficient. De fait, la culture de tissus humains a été guérie, du moins pendant la vie éphémère de quelques générations de cellules, grâce au transfert du gène approprié, venu d'une simple bactérie commune.

Du poulet à la souris

D'autres biologistes, les Anglais H. Harris, A.G. Schwartz et P. R. Cook, de l'université d'Oxford, ont réussi, de leur côté, à transplanter par un autre procédé un gène de poulet sur des cellules de souris.

Tout s'est passé comme s'ils étaient parvenus à faire fusionner les noyaux de globules rouges de poulet et ceux d'une espèce bien particulière de souris, choisie parce que les animaux de cette espèce sont héréditairement incapables de produire une enzyme essentielle.

Le but de l'expérience était de créer, dans des tissus de souris, des cellules hybrides, munies du gène leur permettant de fabriquer l'enzyme. Ce qui équivaut à doter d'un caractère nouveau les cellules de souris.

Il importe toutefois de souligner que les essais n'ont pas été faits avec des cellules germinales : ils n'ont pas créé de races nouvelles, mais seulement des lignées de cellules isolées ou groupées en tissus cultivés en laboratoire.

Certains spécialistes en génie génétique ont des ambitions plus vastes. Le docteur Danielli, qui travaille à l'université américaine de Buffalo, s'attaque à la production d'espèces nouvelles de microbes, en modifiant leurs chromosomes par une micro-chirurgie d'une étonnante minutie. Il a déjà fabriqué des amibes originales et affirme qu'il cherche à s'attaquer aux espèces supérieures. La fabrication de surhommes, dit-il, sera une réalité au XXIe siècle.

Une tentative, au moins, d'essai sur l'homme de semblables techniques a été avouée. Un biologiste allemand, H. Terhagen, de Cologne, et un biologiste américain, S. Rogers, d'Oak-Ridge, ont tenté de corriger un défaut héréditaire chez des enfants allemands en leur injectant un virus.

Ce virus, dit de Shope, est inoffensif pour l'homme. Il possède la propriété de favoriser la synthèse d'une enzyme essentielle, chargée de régler le taux d'une substance importante dans l'organisme, l'arginine. Les petits malades qui ont été les cobayes de cet essai inhabituel ne possédaient pas cette enzyme, dont la carence avait déjà provoqué chez eux des troubles mentaux.