La classe ouvrière va au Paradis, d'Elio Petri, pèche par une certaine complaisance qui était moins apparente dans Enquête sur un citoyen... L'aliénation d'un ouvrier qui passe du stakhanovisme à la révolte pure en prenant peu à peu conscience de sa condition d'exploité (grâce à l'action antagoniste mais complémentaire — selon Petri — des syndicats et des gauchistes) est étudiée d'une manière superficielle (malgré des références freudiennes précises) mais efficace.

On attendait depuis bientôt... vingt ans la résurrection de Vittorio De Sica. Elle est venue avec Le jardin des Finzi-Contini, d'après l'excellent roman de Bassani. De Sica, trop adulé à l'époque du néo-réalisme triomphant, trop décrié dès qu'il parut se mettre au pas devant les concessions commerciales, a repris place parmi l'élite du cinéma italien.

À ce panorama positif, il faut ajouter la transposition gaillarde du Décaméron de Boccace par Pier Paolo Pasolini, et deux curiosités d'auteur : le troublant Liza, de Marco Ferreri, et le séduisant apologue politique de Liliana Cavani Les cannibales.

Ce bilan oblige à être peut-être un peu sévère pour le dernier Sergio Leone : Il était une fois la révolution. Cette fresque picaresque n'échappe pas aux conventions du western-opérette, dont les morceaux de bravoure sont assez mal reliés par de longs tunnels folklorico-parodiques.

Grande-Bretagne

On ne voit pas très bien pourquoi les Britanniques ne pourraient pas revendiquer l'honneur d'avoir contribué à la création de deux des films-phares de l'année : le Frenzy d'Hitchcock et l'Orange mécanique de Kubrick, tous deux tournés sur leur territoire. La nationalité d'un film est-elle ou non indissolublement liée aux capitaux qui ont permis sa réalisation ? Les coproductions ne clarifient guère une situation déjà passablement embrouillée.

Néanmoins, Deep End du Polonais Jerzy Skolimowski ou Macbeth de son compatriote Roman Polanski doivent être considérés comme des œuvres d'outre-Manche. Le premier, qui a connu à Paris une exceptionnelle carrière commerciale (malgré l'exiguïté de son circuit), est une réussite dans un registre auquel son auteur ne nous avait pas jusqu'ici habitué : l'humour cruel. Le second, par contre, n'ajoutera guère à la gloire de Polanski. Son adaptation shakespearienne, honnêtement académique, reste très en deçà des essais similaires de Welles ou de Kurosawa. Autre déception, de taille celle-là : L'assassinat de Trotsky de Joseph Losey, illustration plate et incolore d'un fait divers dont les moindres résonances politiques ont été soigneusement estompées. De son côté, Ken Russell a fait scandale avec Les diables, œuvre exhibitionniste et paroxystique. Remarquable, en revanche, Un dimanche comme les autres de John Schlesinger, d'une troublante justesse de ton (le problème de l'homosexualité, décidément très en faveur cette année chez les cinéastes, a trouvé là son analyste le plus juste et le plus sensible).

La Grande-Bretagne n'a oublié ni les nostalgiques de James Bond (Les diamants sont éternels de Guy Hamilton) ni les fervents du western internationalisé (Soleil rouge de Terence Young). Des découvertes mineures, certes, mais pleines de promesses : Peter Medak (Dieu et mon droit) ; John Mackenzie (Mort d'un prof). Il est important d'ajouter que le film de Ken Loach Family life a été la sensation de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et que cette œuvre exemplaire impose définitivement un cinéaste de très grand talent révélé l'an passé par Kes.

Suède

Peu de films, mais de grande qualité. Le lien d'Ingmar Bergman prolonge les réussites que furent La honte et Une passion. Bibi Andersson accomplit une performance d'actrice stupéfiante qui la classe parmi les toutes premières comédiennes de son temps. Après Adalen 31, Bo Widerberg, fidèle à une inspiration picturale proche de l'impressionnisme, dépeint dans Joe Mill l'odyssée d'un jeune émigrant suédois, héros des premières luttes syndicales dans l'Amérique du début du siècle. Un film dont la carrière commerciale a été confidentielle, Agressions, de Lasse Forsberg, apparaîtra peut-être plus tard comme une date dans l'histoire du film contestataire.

Suisse

Les bonnes surprises ont été nombreuses dans certains pays de petite production. La Suisse, par exemple. La salamandre d'Alain Tanner confirme le talent du réalisateur de Charles mort ou vif. Une exclusivité exceptionnelle dans une petite salle de Paris a couronné une œuvre d'une facture particulièrement séduisante. L'attaque malicieuse et sournoise de Tanner contre la société paraît infiniment plus dangereuse et corrosive que toutes les entreprises de démolition, plus au goût du jour que sincères.

Belgique

Un autre grand film : Rendez-vous à Bray, d'André Delvaux. D'un texte fascinant (de Julien Gracq) mais a priori difficile à traduire en images, Delvaux a fait surgir un univers mi-réel mi-onirique, qui apparaît comme la résultante d'une symphonie de signes. Le cinéma devient alors le point de convergence magique de tous les autres arts, et notamment de la musique et de la peinture.

Les pays de l'Est

Un cinéma qui semble en sommeil, à l'exception de la Hongrie, plus vivante que jamais, qui a proposé l'un des chefs-d'œuvre de l'année avec Amour de Karoly Makk, tandis que Miklos Jancsó, avec Psaume rouge, était enfin reconnu à Cannes comme l'un des grands maîtres de son époque. Valérie au pays des merveilles, du Tchèque Jaromil Jires, est peut-être l'hirondelle qui, après avoir ouvert le printemps de Prague (avec Le premier cri en 1963), va le clore.