En dépit de tentatives de récupération politique du free jazz par des minorités de gauchistes, on ne décèle d'ailleurs pas, au cours des concerts qui se déroulent dans de petites salles de la région parisienne, l'enthousiasme annonciateur de lendemains qui chanteront. On n'y découvre même pas — ce qui serait un bon signe — une hostilité de bon aloi, une contestation réactionnaire.

L'ennui règne sur la scène comme dans le public, sauf à de rares exceptions, notamment lorsque joue le saxophoniste argentin Gato Barbieri. Mais doit-on le considérer comme un serviteur du free ? En février, à la salle Wagram, ce musicien se révéla comme une personnalité prometteuse, ironisant à l'aide des procédés les plus paroxystiques du jazz sur des thèmes et des rythmes sud-américains. Les créateurs du free, Gato Barbieri aussi, agissent dans une direction où le matériel thématique est destiné à être détruit, mieux encore placé en situation de dérision.

Un mariage heureux

Miles Davis, d'un autre côté, poursuit sa tentative — réussie d'ailleurs — du mariage du jazz et des sonorités et percussions électroniques mises au goût du jour par certains orchestres de pop music. Ce trompettiste (à Chaillot en octobre) est arrivé à une sorte de perfection, accomplissant en compagnie du pianiste Keith Jarrett un travail de trituration sonore qui n'exclut pas la fidélité à un style de trompette qui ne s'est pas démodé depuis vingt-sept ans.

La même voie est explorée avec bonheur par le violoniste français Jean-Luc Ponty, plus souvent à l'honneur à l'étranger que dans notre pays, par le trio du batteur Tony Williams et le groupe du pianiste Herbie Hancock (à Pleyel en mars). Chez ce dernier, le modernisme de l'électronique se mélange à d'extravagants retours en Afrique. Alors que Miles Davis passionne les amateurs de jazz et aussi des fanatiques de la pop music, il ne semble pas, néanmoins, qu'un public important suive les recherches de Hancock, pourtant pianiste très expérimenté.

En revanche, les vocalistes populaires, tels Ray Charles (en octobre à Pleyel) et Ella Fitzgerald (en juillet à Nice), conservent de larges audiences. Leur programme, largement ouvert aux influences du monde de la chanson, est beaucoup plus accessible à la foule que les travaux des jazzmen puristes.

Néanmoins, Ray comme Ella, s'ils n'ont pas déçu, n'ont guère surpris. Cependant, la grande presse, toujours à l'affût de l'anecdote, a fait grand cas de l'interruption des activités professionnelles de la chanteuse, à la suite d'une maladie survenue à Nice, qui la rendit aveugle pour plusieurs semaines. Venue l'an passé à Montreux, la chanteuse Roberta Flack s'est imposée aux États-Unis comme l'une des voix noires les plus aimées. On a pu l'admirer dans Soul to soul, film-reportage d'un festival de musique négro-américaine au Ghana, au même programme que The Voices of East Harlem, Wilson Pickett, Ike et Tina Turner, ainsi que les Staple Singers, illustrant tous la tendance soul, issue du mariage du gospel et du blues.

Blues et pop

Ce dernier, dont l'influence reste importante dans le domaine de la pop music, fut représenté dans sa pureté farouche au cours du concert de l'American Folk Blues Festival (à Pleyel en mars) avec Big Joe Williams, Pete Williams et Big Mama Thornton. Auparavant, le guitariste-chanteur B.B. King (à l'Olympia en novembre) prouva qu'il est sans doute le maître actuel du genre et qu'en dépit d'un répertoire très limité, il arrive, par l'intensité de son jeu, à créer un climat captivant autour d'un nombre minimum d'accords.

On peut regretter qu'en Europe l'austérité, la pureté, la négritude trop primitive des blues de B.B. King ne suscitent pas à son égard la ferveur du grand public de la pop music, à laquelle il convient maintenant d'accorder la principale place, car il est évident qu'au niveau des jeunes générations elle a remplacé le jazz.

En fait, l'appellation pop music recouvre un certain nombre de tendances fort différentes, tendances souvent éphémères qui prolifèrent et se développent avec une vivacité aussi sympathique qu'irritante.