Du côté de la littérature de recherche, signalons un roman de Philippe Sollers, qui s'est un peu institué chef de groupe, avec culte de la personnalité comme son maître lointain Mao Tsé-toung. Mais est-ce bien un roman ces Lois ? Il ne s'agit pas d'une discussion académique et oiseuse sur les frontières d'un genre littéraire, mais d'une interrogation sur la nature d'un ouvrage où l'agilité de l'intelligence ne compense peut-être pas le manque de force créatrice et de vie spirituelle. La vie spirituelle ? Je ne connais pas, répondrait d'ailleurs sans doute Ph. Sollers, comme les matérialistes sommaires ou comme le renard coupé de la fable.

Plus intéressant, mais d'un abord extrêmement difficile, me semble l'ouvrage d'Hélène Cixous, Neutre. Il faut le lire mieux que ligne à ligne, mot à mot, et en tenant compte chaque fois de l'aura de sens et d'allusions dont chaque mot est chargé. Mais ce labeur est récompensé parce que l'écrivain a une personnalité profonde dont la psychanalyse aide l'exploration, et parce que le projet intellectuel est cohérent et intéressant : surprendre le récit à l'état naissant et à l'état pur. C'est une aventure, ou mieux un avatar, du langage.

Quant à la réflexion critique sur la littérature, elle a pris des formes diverses. Le maître actuel de la critique universitaire, Roland Barthes, a étudié Sade, Fourier, Loyola en les considérant comme une trinité du saint langage, comme des exemples de ce que peut apporter et donner l'étude du texte pur dont on a parlé plus haut. Dominique Fernandez, dans un beau livre, L'arbre jusqu'aux racines, consacré lui aussi en grande partie à l'étude d'une trinité — Michel-Ange, Mozart et Proust —, s'élève contre le pur structuralisme et contre la séparation radicale de l'homme et de l'écrivain déjà affirmée dans le Contre Sainte-Beuve de Marcel Proust. Il propose une méthode qui étudie l'arbre jusqu'aux racines, la symbiose en quelque sorte de l'artiste et de son œuvre, et cette méthode c'est pour lui la psychobiographie. Cela comporte un appel important à la psychanalyse, mais non un retour à la critique psychanalytique naïve, si l'on peut dire, qui croyait avoir rempli sa mission quand elle avait mis au jour dans la vie de l'écrivain quelque bon gros complexe. C'est l'œuvre même qui est pour D. Fernandez le comportement le plus significatif à psychanalyser ; c'est le texte qui est riche en actes prémédités et en actes manqués, en obsessions et en projections. Ainsi l'étude de Proust, par exemple, éclaire-t-elle moins sa sincérité tant vantée que son pouvoir de dissimulation. Ainsi arrivons-nous à une critique plus humaine, à une critique globale du phénomène de la création. Plein d'exemples instructifs et piquants, animé par une intelligence vive, précise, claire, qui n'entend pas s'en laisser conter, le livre de D. Fernandez est un livre important dans l'histoire des idées et de la critique.

Posthumes ou imaginaires

On pourrait citer encore des livres de critique d'une allure toute classique comme Valeurs, de Jacques Duron (prix de la Recherche, du Cercle des bibliophiles), où l'auteur essaie de dégager les messages pour notre temps de quelques grandes figures, et en particulier du philosophe hispano-américain Santayana. Mais on peut terminer cette revue sur un petit livre de critique indirecte, très drôle mais qui n'est léger qu'en apparence, La Chine m'inquiète... de Jean-Louis Curtis. C'est un recueil de pastiches, et on sait à quel point le pastiche constitue une critique interne des manières, bonnes ou mauvaises, de l'écrivain dont on emprunte le nom et la peau. Claudel, Proust, Bernanos, Paul Léautaud, Jacques Chardonne, Simone de Beauvoir, Nathalie Sarraute et bien d'autres sont imités, dans la tournure de leurs phrases et dans la tournure de leur esprit. De plus, J.-L. Curtis a choisi un thème commun : les événements de mai 1968, dont les différents aspects sont décrits avec drôlerie, mais aussi avec acuité à travers ces témoignages posthumes ou imaginaires. Ainsi Paul Léautaud, jubilant de hargne, rapporte sa conversation avec André Gide rencontré au coin d'une rue du Quartier latin, un jour d'émeute. L'ouvrage est irrespectueux sans méchanceté ; il va du pastiche à la parodie, et, comme il est naturel, ce sont les tempéraments les plus forts qui résistent le mieux à l'épreuve. J.-L. Curtis fait revivre ainsi un certain nombre d'écrivains disparus, mais encore présents et parfois d'une manière directe.