C'est l'année du redressement. La campagne, qui va se poursuivre jusqu'à l'été 1972, commence les 5 et 6 juillet 1971 par un plénum du Comité central du PC où Nicolae Ceausescu énonce ses fameuses thèses sur l'amélioration de l'activité politico-idéologique. Cette dernière laisse, estiment les dirigeants du parti, beaucoup à désirer. Pendant plusieurs années, la Roumanie, tout entière tournée vers l'ouverture à l'Ouest, a subi, disent-ils, la contamination de l'idéologie occidentale. La littérature, le cinéma, la musique même ont été atteints. Le mal sera traité énergiquement mais sans passion.

Au niveau du parti, Ilie Radulescu perd son poste de chef de la section de propagande au Comité central, et Ion Iliescu est privé de sa fonction de secrétaire du Comité central. Malita, ministre de l'Éducation nationale, vivement attaqué, est épargné, mais doit faire une autocritique d'ailleurs peu convaincante.

Comme Nicolae Ceausescu a lancé cette offensive idéologique à son retour de Pékin, elle est un peu hâtivement qualifiée de mini-révolution culturelle. Les premières conséquences du plénum de juillet semblent justifier cette étiquette. En quelques jours la radio cesse de diffuser de la musique décadente, la remplaçant par des airs populaires roumains ; des livres suspects sont retirés des librairies, des films occidentaux disparaissent des écrans de la télévision et des cinémas. C'est excessif. En tout cas, c'est ainsi que Nicolae Ceausescu juge ces poussées de zèle, rappelant les responsables à un peu plus de bon sens. En dépit de cette correction de trajectoire, les milieux intellectuels sentent passer le vent froid du redressement. Nicolae Breban, rédacteur en chef de la Roumanie littéraire, démissionne (son livre Les animaux malades et le film qu'on en a tiré sont taxés de « mysticisme ») ; Paul Goma est exclu du parti pour avoir publié à l'Occident un livre sur les prisons roumaines. Parallèlement, on entreprend de moraliser la société : la presse dénonce la corruption et le cosmopolitisme.

Cette campagne concrétise un phénomène déjà décelable : Nicolae Ceausescu, qui en est l'initiateur, devient l'homme qui dirige, et dirige seul, la Roumanie. Le 5 novembre 1971, le plénum du parti approuve ses thèses idéologiques et, le 18 avril 1972, une autre réunion plénière du Comité central traduit cette autorité désormais incontestée du chef du PC roumain. Elle décide le limogeage de plusieurs responsables locaux qui ont « transgressé l'éthique communiste » et surtout prive Niculescu-Mizil, le no 2, de son poste de secrétaire du Comité central pour le mettre sur la voie de garage de la vice-présidence du Conseil.

Une mystérieuse affaire est venue alourdir le dossier des relations soviéto-roumaines. Selon plusieurs rumeurs, le général Ion Serb, commandant la place de Bucarest, aurait été arrêté en décembre 1971 puis exécuté pour espionnage au profit de l'URSS. Il n'y a eu ni confirmation ni démenti officiels. Il semble en tout cas que le général Serb ait été limogé.

Indépendance

La politique extérieure roumaine continue elle aussi à être dominée par la personnalité de Nicolae Ceausescu. D'un voyage à l'autre, de rencontres en rencontres, elle affirme de plus en plus sa spécificité et sa très large autonomie. Ce qui n'est pas toujours du goût des alliés de la Roumanie. Après la visite du chef du PC roumain en Chine (en juin 1971), les dirigeants de Bucarest sont pris pour cibles par les autres capitales de l'Est.

La presse hongroise, tchécoslovaque, polonaise dénonce un prétendu axe antisoviétique Tirana-Bucarest-Belgrade inspiré par la Chine. On rappelle aux Roumains « qu'ils ont marché sur la corde raide ». Des rumeurs de manœuvres militaires en Bulgarie viennent appuyer cette démonstration. Le 8 juillet 1971, Niculescu-Mizil réplique sèchement aux Hongrois qui se sont montrés les plus virulents dans ce concert.

Et lentement l'orage se calme comme si rien ne s'était passé et comme si l'URSS avait seulement voulu rappeler à la Roumanie — et cela par alliés interposés — que certaines de ses initiatives ne lui plaisaient pas.