À courte échéance, les soucis de Gaston Eyskens se nomment autonomie culturelle, organisation des grandes agglomérations et fédérations de communes, décentralisation économique et statut des Fourons (enclave flamande dans la province de Liège). Socialistes et sociaux-chrétiens ne sont pas d'accord sur le mode de nomination des échevins à la tête des grandes agglomérations et ils ne réussissent à se mettre d'accord que sur un règlement particulier concernant Bruxelles. Mais il y a plus : les socialistes se font exigeants à propos des Fourons dont ils veulent que le sort soit réglé avant le vote final sur le reliquat du contentieux wallon-flamand.

Autonomie culturelle

Quant au PLP, il veut bien prêter son concours au vote des dispositions relatives à l'autonomie culturelle dont l'adoption requiert une majorité des deux tiers dans l'ensemble du Parlement ainsi que la majorité simple dans chaque groupe linguistique, mais il réclame, au préalable, la conclusion d'un pacte culturel. Ce pacte devrait organiser une répartition équitable de l'influence des partis politiques dans les divers organismes publics existants ou à créer. La négociation entre les partis gouvernementaux et l'opposition PLP traîne en longueur. Gaston Eyskens soumet d'abord son projet sur l'autonomie culturelle au Sénat, où les gouvernementaux disposent à eux seuls de la majorité des deux tiers. Le vote est acquis le 10 juillet 1971, mais l'issue de la bataille à la Chambre demeure incertaine.

Le 15 juillet, il offre au PLP la conclusion d'un pré-accord culturel dont la mouture définitive devra être signée, au plus tard, le 30 novembre. Il rappelle à Pierre Descamps, président du PLP, son offre plus ancienne de rétablir à Bruxelles le libre choix du père de famille en matière scolaire.

Les pourparlers qui se poursuivent dans la nuit du 15 au 16 permettent à Gaston Eyskens de rallier les libéraux flamands et wallons au vote du projet. Le 16 juillet, la Chambre adopte le projet organisant les conseils d'agglomération et les fédérations de communes ainsi que le rétablissement de la liberté du père de famille à Bruxelles.

Le même jour, le projet créant les conseils culturels est, à son tour, voté. Seuls les libéraux bruxellois et le FDF (Front démocratique des francophones) maintiennent leur opposition ; le gouvernement obtient dès lors non seulement la majorité des deux tiers sur l'ensemble des suffrages, mais aussi la majorité simple à l'intérieur de chacun des groupes linguistiques.

À l'annonce du vote, certains commentateurs n'hésitent pas à parler d'une nuit des dupes. Quoi qu'il en soit, la situation est provisoirement débloquée ; la Chambre part en vacances et le Sénat l'imite quelques jours plus tard, après avoir voté la version retouchée de l'ensemble des dispositions communautaires ainsi que le projet gouvernemental sur le contrôle des prix. Ce texte avait fait l'objet, au début de l'année, d'une controverse entre les sociaux-chrétiens, partisans de dispositions souples, et les socialistes attachés à des mesures plus rigoureuses pour combattre la hausse. Au mois d'août, la crise du dollar et les décisions du président Nixon amènent le gouvernement belge à harmoniser sa politique financière avec celle de la Hollande et du Luxembourg au sein du Benelux, les trois pays décidant de rétablir une parité réciproque entre leur monnaie avec une marge de fluctuation de 1,5 %, au-dessus et au-dessous de la parité. Cette solidarité suscite quelques critiques du côté francophone.

Climat pré-électoral

Dès la rentrée de septembre, les problèmes communautaires refont surface avec la foucade d'un député social-chrétien flamand, Jan De Serranno, qui annonce que son groupe n'est pas disposé à voter le projet sur les Fourons. L'émoi est vif chez les socialistes qui n'ont accepté de voter les dispositions sur l'autonomie culturelle qu'en contrepartie d'un règlement définitif du sort des communes de la Voer et de la mise en place de la régionalisation économique.

Le CVP (Parti social-chrétien flamand) a beau ramener les propos de Jan De Serranno aux dimensions d'une initiative personnelle, la presse s'accorde à parler d'un climat pré-électoral qui menace l'existence du gouvernement. Les réunions politiques au sein de la majorité se multiplient et une sorte de fièvre s'empare du cabinet, qui tente d'expédier en toute hâte certains dossiers en souffrance dont le plus important est la nouvelle convention salariale dans les services publics.

Crise

La crise attendue par les uns et redoutée par les autres éclate le 22 septembre avec la publication dans l'hebdomadaire Pourquoi pas ? d'une interview d'Edmond Leburton, le coprésident wallon du parti socialiste, à qui le journal fait dire dans son titre : « J'en ai marre du CVP ! » Le texte de l'article est d'une telle véhémence qu'on aurait pu le croire écrit par un opposant farouche à l'équipe Eyskens. Edmond Leburton accuse les sociaux-chrétiens flamands de déloyauté devant le refus évident, dit-il, d'exécuter leurs engagements relatifs aux Fourons et à la décentralisation. L'incident prend toute sa signification politique, le lendemain, avec la publication d'extraits de l'interview par Le Peuple, quotidien attitré du PSB (Parti socialiste belge). Les dirigeants sociaux-chrétiens refusent d'assister à une rencontre au sommet des partis de la majorité tant que le président du PSB ne se sera pas rétracté. Edmond Leburton refuse, consommant ainsi la crise.