La petite révolte des présidents de commission de juillet 1971, les querelles qui s'élevaient au cours de l'été suivant parmi les républicains indépendants et entre certains dirigeants de leur parti — Michel Poniatowski, secrétaire général, en particulier, et l'UDR — étaient à peine calmées qu'Alexandre Sanguinetti suggérait, en vue des assises UDR de Strasbourg (19-21 novembre 1971), la création d'un poste de président du parti. Tour à tour, l'affaire des sociétés civiles immobilières et le cas Rives-Henrÿs — sur lequel nous reviendrons —, les scandales de l'hiver et du printemps, les débats sur l'avoir fiscal, sur la réforme régionale, sur le statut de l'ORTF et maints autres thèmes de discussions, voire les divergences de fond sur l'avenir de la construction européenne, fournissaient l'occasion de heurts. Quand les interventions du Premier ministre ne suffisaient pas à ramener le calme et à refaire la cohésion, alors le président de la République lui-même, discrètement ou publiquement, usait de son influence et de son autorité pour rétablir la situation.

La fin de l'après-gaullisme

Le président Georges Pompidou avait tenu à la rentrée, le 23 septembre, une conférence de presse qui avait porté sur les sujets les plus divers, en particulier d'ordre monétaire et international. Dans les affaires intérieures, le seul point qui devait être largement commenté avait trait à la distinction faite entre majorité présidentielle et majorité législative, entre lesquelles, avait dit Georges Pompidou, il n'y a pas « toujours forcément accord ou parallélisme ». Dans les mois suivants, le chef de l'État donnait visiblement la priorité aux questions extérieures, et ses visites en province — à Brest en octobre, dans les cinq préfectures de la Région parisienne en novembre —, ses déclarations et messages, pour la fin de l'année notamment, son second voyage en Afrique noire (Tchad et Niger, en janvier 1972) n'apportaient à peu près rien d'inédit, rien de bouleversant en tout cas, au débat politique.

La surprise n'en fut que plus grande lorsque, dans les dernières minutes de sa conférence de presse du 16 mars 1972, le président de la République annonçait sa décision, sur la proposition du gouvernement, de soumettre à référendum un projet de loi consacrant l'adhésion de la Grande-Bretagne, de la Norvège, du Danemark et de l'Irlande à la Communauté européenne. Pourquoi cette consultation ? Pour asseoir solidement sa politique européenne, disposer d'une autorité accrue dans les rencontres au sommet des Dix, mais aussi pour obtenir une sorte de réinvestiture personnelle à mi-mandat ou presque, rassembler et même élargir la majorité, diviser l'opposition.

On vit bien en effet la majorité resserrer les rangs, l'opposition se diviser en trois camps entre le « oui » (réformateurs centristes et radicaux), l'abstention (socialistes) et le « non » (communistes), mais la brièveté d'une campagne écourtée par les fêtes de Pâques, sa maladresse, la complexité des problèmes soulevés, l'indifférence relative de l'opinion devaient entraîner un record d'abstentions (39,52 %) et une réponse faiblement positive (en chiffres ronds, 10,5 millions de « oui » pour 5 millions de « non » avec 2 millions de bulletins blancs ou nuls).

Ce n'était pas le « oui franc et massif » escompté ; ce n'était pas non plus l'échec complet décrit par tous les adversaires du régime, mais une réponse ambiguë et tiède.

Cependant ce référendum à demi manqué consacrait d'une certaine manière le tournant déjà largement amorcé dans l'évolution du régime vers la fin de l'après-gaullisme.

L'approbation de l'adhésion anglaise au Marché commun, que de Gaulle avait par deux fois écartée avec éclat, le renforcement et le développement de cette Communauté européenne qu'il n'aimait guère, le ralliement au camp du « oui » d'hommes comme Jean Lecanuet, adversaire du général et principal auteur du ballottage à l'élection présidentielle de 1965, Jean-Jacques Servan-Schreiber et les radicaux, Jean Monnet, père de l'Europe, leur attitude favorable à la supranationalité si ardemment combattue jadis par les gaullistes et leur chef, tout cela désorientait et irritait les vieux Compagnons, les gaullistes historiques ou orthodoxes.