Ce glissement à droite de la démocratie chrétienne provoque une scission sur sa gauche à la veille de son congrès national. Le 31 juillet 1971, de jeunes responsables démocrates-chrétiens démissionnent en série, suivis par 8 députés du parti, et fondent, au début d'août, le Mouvement de la gauche chrétienne (MIC). Au même moment, trois parlementaires et le ministre de l'Agriculture, J. Chonchol, en désaccord avec la nouvelle ligne marxiste-léniniste du MAPU (Mouvement d'action populaire unifié), démissionnent de leur mouvement et rejoignent le MIC. Un processus de radicalisation, similaire au MAPU, produit également au sein du parti radical une dissidence ; 11 parlementaires radicaux quittent leur parti et adhèrent à une nouvelle formation, non marxiste, le parti de la gauche radicale (PIR). À l'occasion de ces crises, 4 ministres offrent leur démission ; elles sont refusées en bloc.

Menacé sur sa droite, le gouvernement Allende est critiqué sur sa gauche. Le MIR (gauche révolutionnaire), qui a adopté une attitude de soutien tactique à l'égard du gouvernement, préconise une accélération du mouvement révolutionnaire. Le 12 septembre, les autorités arrêtent les dirigeants de la campagne d'occupation illégale de terres, dans le Sud. Pour la plupart, ce sont des militants du MIR. Le 1er novembre, devant un auditoire de paysans Mapuches, Miguel Enriquez, secrétaire général du MIR, met en garde le gouvernement contre ses faiblesses et ses erreurs. Trois jours plus tard, pour le premier anniversaire de son accession au pouvoir, Allende dénonce, dans un discours au stade national de Santiago, les beaux parleurs d'extrême gauche.

Caution de Castro

Le long séjour officiel (10 novembre-4 décembre) de Fidel Castro contribue à accentuer la bipolarisation de la vie politique chilienne. L'hommage rendu par le lider maximo au gouvernement Allende pour ses « actes hautement révolutionnaires » représente une caution pour le régime. « La révolution cubaine ne peut servir de modèle pour l'exportation », déclare Fidel Castro, qui ajoute : « Je n'invite personne à suivre nos méthodes. Il appartient à chaque pays de trouver ses propres solutions. » Aux étudiants gauchistes de Concepcion, le dirigeant cubain apporte un message de modération : « La lutte armée n'est justifiée que lorsqu'il n'y a plus d'autre choix, que toutes les voies légales sont fermées. » Aux mineurs du Nord, il conseille d'atténuer leurs revendications, tandis qu'il invite le peuple chilien dans son ensemble à ne pas laisser fuir ses techniciens à l'étranger.

Avant même le départ de cet hôte de marque, l'opposition profite des difficultés de ravitaillement pour organiser, les 1er et 2 décembre, des manifestations de femmes. Ces manifestations, dites des marmites vides parce que les participantes descendent dans la rue en tambourinant sur des fonds de casseroles, dégénèrent en heurts violents avec la police. Le couvre-feu est imposé à Santiago pendant une semaine. Pour les socialistes et les communistes, seules les femmes des beaux quartiers ont manifesté ; le 20 décembre, 60 000 personnes manifestent en faveur du gouvernement.

Crise constitutionnelle

De plus en plus l'opposition tente de bloquer l'action du Front populaire au niveau parlementaire. À partir d'octobre, les démocrates-chrétiens s'opposent au projet de loi sur le contrôle par l'État des 150 entreprises les plus importantes, et, le 22 décembre, le Congrès adopte une réforme constitutionnelle limitant les pouvoirs du gouvernement en matière de nationalisations. En novembre, les députés rejettent le plan gouvernemental de dissolution des deux Chambres pour les remplacer par une Assemblée du peuple. Le 1er janvier 1972, le Parlement vote un budget 1972 amputé de 306 millions de dollars, ce qui compromet le plan de développement. Le gouvernement oppose son veto. La crise est totale. Entre-temps, l'opposition met deux ministres en accusation constitutionnelle. L'un d'eux, José Toha (Intérieur) est particulièrement visé par les démocrates-chrétiens. Objet d'un vote hostile des députés pour avoir enfreint les garanties constitutionnelles, il est suspendu. Le 25 janvier, Allende doit remanier son gouvernement ; J. Toha passe au ministère de la Défense. Le président admet dans le cabinet deux radicaux modérés. Cette initiative confirme la tendance au regroupement de diverses formations de centre gauche, qui se concrétise, en mars, par la fusion du parti d'action populaire et du PIR.