Jusqu'à cette époque le président Allende poursuit sa politique socialiste. Par l'intermédiaire de la CODELCO (Corporation du cuivre), le gouvernement Allende prend le contrôle total de la vente du cuivre, qui procure 80 % des devises du pays. Le 11 juillet 1971, par décision unanime du Congrès, les mines de cuivre deviennent propriété « absolue, exclusive, inaliénable et imprescriptible » de l'État. Ce jour-là sera célébrée désormais la fête de la Dignité nationale. Le 17 septembre, le gouvernement prend possession de la MADECO (manufactures du cuivre), principale société de raffinage.

Trois groupes américains sont affectés par les nationalisations : l'Anaconda Copper Corporation, qui possédait trois mines dans le nord ; la Kennecott Copper Corporation, qui extrayait le cuivre dans le centre de la Cordillère des Andes ; la Cerro Corporation, qui exploitait un gisement. Dès le mois d'août, le département d'État annonce la suspension des prêts américains au Chili jusqu'à l'indemnisation des sociétés cuprifères évincées. Tandis qu'il connaît ses premières difficultés avec les États-Unis, le président Allende effectue, du 24 août au 3 septembre 1971, une tournée officielle au Pérou, en Colombie et en Équateur, à la recherche de soutiens latino-américains.

Guerre économique

Les indemnisations sont estimées à 700 millions de dollars. Or, le 28 septembre, le président Allende annonce que son gouvernement déduira 774 millions de dollars du montant des sommes à verser, en raison de bénéfices excessifs des firmes intéressées. Cela revient à dire que non seulement les sociétés américaines ne toucheront rien, mais encore qu'elles demeurent débitrices à l'égard du Chili.

Santiago fonde sa position juridique sur la déclaration no 1 803 des Nations unies, relative au « droit inaliénable de tout État à disposer librement de ses richesses et de ses ressources naturelles au mieux de ses intérêts nationaux ». Le 13 octobre, le secrétaire d'État américain William Rogers presse le Chili de reconsidérer son refus d'indemnisation et le met en garde contre les dangers de sa décision pour les pays en voie de développement. Le 11 février 1972, le président Allende prédit une guerre économique avec le gouvernement américain qui, à la demande de la Kennecott, a mis l'embargo sur tous les fonds de la CODELCO déposés aux États-Unis.

Un compromis entre la société américaine et les autorités chiliennes favorise, à la fin de février, la reprise des liaisons aériennes entre les deux pays, supprimées le 23 février, à la suite du blocage des avoirs de la compagnie Lan Chile aux USA, en attendant le remboursement d'un crédit de 92 millions de dollars. Le 29 février, l'Anaconda déclenche à son tour une action contre la Corporation du cuivre ; le blocage des avoirs de la CODELCO ainsi que ceux de la Corporation chilienne de développement est décidé par un tribunal new-yorkais.

Difficultés économiques

Parallèlement, le Front populaire affronte de graves difficultés économiques et sociales. Le 5 juillet 1971, le régime connaît sa première grève. Dans les mines de charbon de Lota, dans le sud du pays, 10 000 ouvriers demandent une hausse de salaire de 70 %. Un mois plus tard, pour la première fois depuis les nationalisations, le mouvement gagne les mines de cuivre.

À El Salvador, 4 500 grévistes réclament 45 % d'augmentation. À Chuquicamata — le plus grand gisement du monde à ciel ouvert —, les travailleurs maintiennent, contre une offre gouvernementale de 22 % d'augmentation, leur demande de 50 %. Le jour de Noël, les dirigeants de la mine donnent leur démission et, le 30 décembre, les mineurs renoncent à faire grève.

Le 6 décembre 1971, la suspension des opérations de change pendant une semaine illustre les difficultés financières du régime depuis sa formation. Le 13 mars, ses réserves sont tombées de 1 milliard 800 millions à 600 millions de francs. Au mois de mai l'escudo est dévalué de 50 % par rapport au dollar. Trois raisons éclairent cette situation :
– la chute des cours mondiaux du cuivre, qui compromet les rentrées annuelles des devises, estimées normalement à plus de 800 millions de dollars. Conjuguée avec la hausse des salaires des mineurs, la marge bénéficiaire des entreprises nationalisées a été réduite ;
– l'accroissement des importations alimentaires (1 milliard 400 millions de francs pour l'achat de viande de bœuf et de porc, de poulet et de blé) provoqué par le rajustement des salaires de l'ordre de 40 % en moyenne et la baisse de la production agricole ;
– le remboursement des emprunts contractés à l'étranger (40 % des réserves de change dépensées en 1971 pour acquitter une partie de la dette extérieure, estimée à 3 800 millions de dollars).

Dette extérieure

En novembre, le Chili suspend les remboursements à ses créanciers extérieurs. Le 3 février 1972 s'ouvrent à Paris les négociations entre le Chili et ses créanciers internationaux. Clodomiro Almeyda, ministre chilien des Affaires étrangères, demande une interruption des remboursements pendant au moins deux ans, afin de rétablir l'équilibre de la balance des paiements. En avril, les États-Unis ayant retiré leur condition préalable d'indemnisation des sociétés cuprifères américaines, le Chili obtient à Paris de nouvelles conditions pour rembourser sa dette extérieure. Il ne sera tenu de restituer que 30 % des sommes dues jusqu'à la fin de 1972. Après une franchise de deux ans, il paiera le reste en six ans.

Effritement

Aux difficultés économiques s'ajoute une situation politique de plus en plus tendue. La victoire, le 18 juillet 1971, du candidat de l'opposition aux élections partielles de Valparaiso renforce l'alliance entre la démocratie chrétienne et la droite. Deux jours plus tard, un démocrate-chrétien accède à la présidence de la Chambre des députés ; les deux assemblées sont aux mains du principal parti d'opposition. La victoire de deux candidats démocrates-chrétiens, le 16 janvier 1972, aux élections partielles organisées dans deux circonscriptions du centre du Chili, confirme ce succès.