L'entreprise paraissait devoir réussir. Le colonel Atta s'empare du pouvoir, sans coup férir, en l'espace de quarante-cinq minutes. La plupart des unités de l'armée se rallient, les unes après les autres. La population accueille le nouveau régime dans l'indifférence ou la joie. Le colonel Atta ne déclenche aucune campagne répressive, n'impose ni la loi martiale ni le couvre-feu. Ses imprudences, attribuées à une sous-estimation de la force des adversaires, devaient lui être fatales.

Contre coup d'État

Le 22 juillet, les événements se précipitent. À l'aube, l'avion qui ramène au Soudan deux des principaux leaders de la conjuration, qui séjournaient à Londres, est intercepté et contraint d'atterrir à Benghazi, en Libye. La nouvelle plonge dans le désarroi les dirigeants de Khartoum. En début d'après-midi, le contre coup d'État est déclenché. Des chars pilonnent plusieurs bâtiments stratégiques de la capitale. Les assaillants ne font pas de quartier. Quelque 500 soldats et civils tombent sous les balles. Des sous-officiers qui avaient pris la tête du soulèvement auraient bénéficié des conseils de militaires égyptiens et du soutien d'une unité de parachutistes soudanais rapatriés le jour même d'Égypte où elle était stationnée aux abords du canal de Suez. Dans la soirée, le général Nemeiry, libéré entre-temps, reprend le pouvoir.

La chasse aux communistes, ou supposés tels, commence aussitôt. Plusieurs milliers de personnes sont arrêtées. Des procès expéditifs permettent l'exécution des dirigeants du PC, en particulier son secrétaire général Abdel Khalek Mahjoub et le président de la CGT, Chafei el-Cheikh. Un millier de personnes sont traduites devant les tribunaux et condamnées à de lourdes peines de prison.

Renversement d'alliances

La première conséquence de la défaite de l'extrême gauche est la nette détérioration des relations entre le Soudan et les pays membres du camp socialiste prosoviétique. Le général Nemeiry ne cache pas son mécontentement, voire son indignation, devant l'attitude de l'URSS face aux deux coups d'État. Dès le 20 juillet, l'ambassadeur soviétique avait demandé avec insistance au chef de l'État égyptien, le président Sadate, de reconnaître le régime du colonel Hachem el-Atta. Le 21, la revue soviétique Temps nouveaux, citée par l'agence Tass, se félicite du renversement du général Nemeiry. Après le retour de celui-ci au pouvoir, diverses manifestations de protestation contre la répression anticommuniste se déroulent dans plusieurs pays de l'Est, notamment en URSS.

Le gouvernement de Moscou adresse à celui de Khartoum deux mises en garde ; le président Podgorny intervient personnellement pour plaider la clémence en faveur des dirigeants communistes condamnés à mort, mais en vain. Le général Nemeiry déclare à plusieurs reprises qu'il ne dispose d'aucune preuve d'une complicité soviétique dans le coup d'État du 19 juillet, mais il rappelle, le 1er août, son ambassadeur à Moscou et expulse, le 2 août, le conseiller de l'ambassade de l'URSS ainsi que l'ambassadeur de Bulgarie, dont les rapports avec le PC soudanais étaient bien connus.

C'est seulement le 10 septembre que le chef de l'État soudanais accuse publiquement tous les pays de l'Est — à l'exception de la Yougoslavie — d'avoir trempé dans le complot du colonel Hachem el-Atta. Il retient néanmoins la plupart des quelque 2 000 experts et conseillers soviétiques, dont les services sont indispensables à l'entraînement de son armée, presque exclusivement équipée avec du matériel russe. Malgré la volonté évidente des responsables soviétiques de normaliser la situation, les rapports entre les deux capitales ont continué à se détériorer. Début juin 1972, le général Nemeiry déclarait à un hebdomadaire libanais qu'il ne renouvellerait le contrat d'aucun conseiller soviétique.

Le général Nemeiry avait décidé dès son retour au pouvoir de renverser ses alliances et de modifier en conséquence sa politique étrangère.

Dès le 4 août 1971, il remercie chaleureusement la Chine pour le soutien qu'elle lui a fourni pendant la crise. Le 15, Mao Tsé-toung adresse un message au chef de l'État soudanais l'assurant d'un appui total. Le 24, un accord est conclu entre les deux pays, aux termes duquel la Chine double son aide financière, qui passe de 40 à 80 millions de dollars. Mais Pékin n'est pas en mesure de se substituer à l'URSS pour l'achat massif de coton soudanais et surtout pour les livraisons militaires, indispensables à une armée qui a doublé ses effectifs en trois ans (passant de 23 000 à près de 50 000 hommes) et qui, de surcroît, est engagée dans une guerre contre les maquis des séparatistes dans les provinces du Sud.