Pendant la seconde moitié de 1971, le président Sadate intensifie ses efforts pour gagner à sa cause les États-Unis. L'objectif est de convaincre Washington d'exercer des pressions sur Israël pour que celui-ci accepte, en échange d'un accord de paix, de restituer les territoires égyptiens conquis lors de la guerre de juin 1967. Pour atteindre ce but, le président Sadate tente de convaincre les Américains que l'Égypte n'est pas un satellite de l'URSS, d'une part, et qu'il est décidé, d'autre part, à provoquer de nouvelles hostilités si rien n'est entrepris pour susciter, à brève échéance, un règlement au Proche-Orient.

Toutes ses initiatives, ses déclarations paraissent dictées par ce double souci tactique. Il se fixe un délai pour atteindre le résultat souhaité : dans un discours, le 23 juillet, il proclame 1971 « année décisive » et déclare que l'Égypte est déterminée à mettre un terme à son conflit avec Israël, soit par la paix, soit par une guerre de reconquête, avant le 31 décembre.

Renversement

La paix, laisse-t-il entendre, permettra à l'Égypte d'équilibrer ses relations internationales, de se rapprocher des États-Unis, de réduire l'influence soviétique. Il donne des gages de sa bonne volonté en prenant vigoureusement position contre le coup d'État procommuniste au Soudan du 19 juillet. Il refuse de reconnaître le nouveau régime de Khartoum malgré l'insistance de l'ambassadeur russe, et prend des dispositions pour favoriser son renversement. L'Égypte se lie formellement à l'un des États les plus antisoviétiques du monde arabe, la Libye, et participe à un regroupement islamisant et conservateur (l'Union des républiques arabes). Elle établit une confiante collaboration avec les États arabes gravitant dans l'orbite anglo-américaine.

Le président Sadate poursuit l'élimination de la vie politique des partisans de l'URSS. Des mesures policières sont prises pour empêcher l'élection des éléments de l'extrême gauche à des postes de responsabilité dans le parti (en juillet) et au Parlement (en octobre). En août, il met en résidence surveillée une personnalité de premier plan, Khaled Mohyeddine (prix Lénine de la paix). Début décembre, il révèle à la revue Newsweek qu'il avait promis au secrétaire d'État américain William Rogers qu'il se séparerait de tous les conseillers militaires soviétiques et qu'il rétablirait les relations diplomatiques avec les États-Unis dès la fin de la première phase du retrait des forces israéliennes du Sinaï. Une partie de la presse égyptienne dénonce « l'occupant étranger qui se pare du masque du socialisme ».

Parallèlement, le président Sadate dénonce de temps à autre la collusion des États-Unis avec Israël, le double jeu américain, d'où l'inévitabilité de la reprise des hostilités. Il multiplie les déclarations belliqueuses, proclame sa détermination de récupérer le Sinaï, même si cela devait coûter à l'Égypte un million de victimes, assume, le 4 novembre, le commandement suprême des forces armées, s'installe au quartier général pour diriger les opérations.

Mais en vain. Si Washington répond à ces sollicitations par des gestes d'ordre économique et financier — en acceptant, par exemple, d'étaler sur sept ans le remboursement des dettes égyptiennes —, le gouvernement américain refuse d'épouser les thèses égyptiennes sur la nature d'un règlement avec Israël. La reprise, le 31 décembre, des livraisons américaines de bombardiers Phantom à Israël marque un tournant qui conduira le président Sadate à réorienter sa politique en direction de l'URSS.

Retour vers l'URSS

Les rapports soviéto-égyptiens s'étaient nettement détériorés pendant la seconde moitié de 1971. Dès août, Moscou avait considérablement ralenti ses livraisons d'armement et avait commencé à diversifier ses relations dans le monde arabe. Jusqu'ici épargné, le président Sadate est l'objet de critiques acerbes dans la presse communiste de la région. Celle-ci lui reproche ses complaisances à l'égard des Américains, sa conviction que les États-Unis détiennent la clé d'un règlement, ses velléités aventuristes dans le conflit israélo-arabe, son anticommunisme en politique intérieure. Par-dessus tout, les dirigeants soviétiques ne goûtent guère les menaces guerrières du chef de l'État égyptien, qui paraît vouloir les entraîner sur un terrain périlleux entre tous.