La confusion règne encore pendant quelques heures. La radio, aux mains d'un groupe de mutins, annonce la mort du roi et la proclamation de la République. Cette fausse information est reprise avec un peu trop d'empressement par la radio libyenne.

Corruption

Quarante-huit heures après cette aventure insensée, quatre généraux, cinq colonels et un commandant sont passés par les armes, laissant l'armée marocaine décapitée.

L'armée, pourtant, est jusqu'à l'heure du complot considérée comme le plus sûr garant du régime. Que s'est-il passé pour que quelques-uns de ses chefs acceptent de prendre de tels risques ? Le général Medbouh avait dévoilé au roi une affaire de corruption portant sur des sommes considérables et dans laquelle des personnalités de premier plan étaient impliquées. Peu satisfait des sanctions prises, a-t-il voulu forcer la main du roi ?

En tout cas, même manqué, l'attentat de Skhirat, révélateur d'une certaine dégradation politique et économique, incite le souverain à prendre des mesures. Il peut soit accentuer l'autoritarisme et la répression, soit au contraire, par la libéralisation, orienter le Maroc vers un fonctionnement plus démocratique des institutions. Dans cette dernière perspective, le retour au pouvoir de l'opposition (Istiqlal d'Allal al-Fasi et UNFP — Union nationale des forces populaires — d'Abderrahim Bouabib) n'est pas exclu. Tout au long de l'année, des pourparlers se poursuivent entre le Palais et les leaders des grandes formations d'Al Koutlah Al Watania (Front de l'opposition).

Chasse aux sorcières

Tandis qu'il lance un vaste programme économique et social — SMIG et SMAG (salaire minimum agricole garanti) sont relevés en novembre 1971 alors que les salaires étaient bloqués depuis 1962 au nom de l'austérité positive, et les zones de salaire unifiées —, le roi Hassan II rend le gouvernement responsable devant le Parlement et le pays, et non plus uniquement devant lui.

Une véritable chasse aux sorcières s'organise pour assainir le pays de la corruption. Six anciens ministres, trois hauts fonctionnaires, quatre directeurs de société et hommes d'affaires sont déférés devant la Cour spéciale de justice de Rabat.

Un économiste plus qu'un politique, Karim Lamrani, succède à Ahmed Laraki comme Premier ministre, le 12 avril 1972.

Bien que dans les discours du roi une certaine ouverture vers l'opposition s'inscrive en filigrane, bien que dans un souci d'apaisement le verdict du procès-fleuve de Marrakech (161 prévenus inculpés d'atteinte à la sûreté de l'État) soit mesuré (5 condamnations à mort dont 4 par contumace et 6 condamnations à la détention perpétuelle), l'Istiqlal et l'UNFP refusent de cautionner le référendum du 1er mars 1972 organisé en vue d'un projet de réforme constitutionnelle, d'ailleurs massivement approuvé.

Le verdict du procès des soldats perdus de Skhirat est également très mesuré : une seule condamnation à mort, diverses peines de prison et 1 008 acquittements.

Rupture

Mais, au moment même où un accord semble sur le point d'intervenir entre le Palais et l'opposition qui paraît prête à entrer dans le gouvernement, la rupture se révèle complète. Le roi assigne à la nouvelle équipe ministérielle la poursuite de l'exécution du programme qu'il a déjà défini, tandis que le Front de l'opposition souhaite la mise en place d'une équipe homogène susceptible de promouvoir l'esprit de la charte du 22 juillet 1970.

C'est donc sans la participation de l'opposition que Karim Lamrani (qui se succède à lui-même) forme son gouvernement par consultations. Son programme a notamment pour objectifs une réforme de l'Université, l'expansion économique, des réformes fiscales, administratives et judiciaires, le développement du tourisme et de l'agriculture. La révision des listes électorales entraîne un ajournement des élections des assemblées communales, des chambres professionnelles et du futur Parlement.

Après quatre mois de grève, les cours reprennent dans les universités et les écoles supérieures. Un aménagement des programmes est mis en place de façon que l'année ne soit pas complètement perdue.