Le Dr Taleb Ibrahimi, ministre de l'Information, reconnaissait cependant que le plan rencontrait des difficultés et qu'il avait fallu apporter des correctifs. Les dirigeants algériens en profitaient pour rappeler le pays à l'observation d'une stricte austérité et à une discipline plus grande dans l'exécution des objectifs du plan, qui prévoit un taux de croissance de la production intérieure brute de 9 % par an, grâce surtout à la production pétrolière, aux activités du bâtiment et des travaux publics, ainsi qu'aux industries de transformation.

La vigne

Un point délicat dans cette évolution : le passage de la situation de pays exportateur de vins à celle de pays se nourrissant lui-même. En 1970, la vigne couvrait encore 285 000 hectares et produisait 8 millions d'hectolitres ; la France, son seul client, n'en achètera plus. L'URSS a accepté d'en importer 5 millions à 35 F (contre 75 F pour la France), mais l'arrachage des vignes se poursuit : 140 000 hectares disparaîtront avant 1980.

L'aménagement agricole est difficile : 4 500 000 F lui ont été consacrés ; tout le crédit destiné à l'achat de matériel est utilisé, mais la moitié des fonds destinés à l'indispensable irrigation des terres n'a pas été dépensée. « Carence intolérable », dit El Moujahid.

Ajoutons les difficultés avec la CEE au sujet du prix des vins algériens. En fait, si certains produits manquent parfois (pomme de terre, agrumes ou beurre), le pays n'est pas menacé de disette.

Sa production de dattes, par exemple, activement poussée (250 à 300 millions de F investis), aide son ravitaillement et permet à l'Algérie de prévoir, dans un proche avenir, la première place sur ce marché en Europe. Finalement, si les exportations algériennes sur la France ont diminué de 60 %, la diversification des acheteurs (des accords ont été signés avec la Chine, l'Allemagne fédérale, le Danemark, des firmes anglaises, le Japon, des groupes américains, la Belgique et l'URSS) permettra à l'Algérie de remplacer sans mal ce client privilégié qu'était l'ancien colonisateur. C'est dans ce cadre qu'il faut interpréter l'évolution des rapports entre l'Algérie et la France.

Rapports franco-algériens

Ils furent parfois orageux : arrestation de coopérants, accusés d'espionnage, départ de stagiaires algériens travaillant chez Berliet, cas d'inculpation pour atteintes à la sûreté de l'État, condamnation de Français pour atteinte au patrimoine national. En fait, il s'agissait surtout de tracasseries administratives, liées aux difficultés générales entre les deux pays. La signature des accords pétroliers, la décision française de recevoir davantage de travailleurs algériens ont fini par faire admettre que « nous sommes condamnés à vivre en paix ».

Ainsi, après avoir donné des signes d'essoufflement, l'économie algérienne prend actuellement sa vitesse de croisière. D'importantes découvertes viennent encore la renforcer : uranium dans le Hoggar (12 000 t) et gaz naturel à Tiguentour, au sud de Goléa.

Arabisation

Sur le plan de la politique intérieure, l'événement majeur est l'arabisation. La langue arabe reprend progressivement sa place. Tous les fonctionnaires doivent maintenant justifier d'un niveau suffisant dans cette langue, régulièrement enseignée aux 2 500 000 élèves de l'enseignement élémentaire, moyen ou secondaire.

Dans un certain nombre d'établissements, le français n'est plus enseigné que comme seconde ou troisième langue. 2 724 000 ouvrages d'enseignement en arabe ont été édités sur place, et 87 400 importés.

Cet effort rencontre évidemment des difficultés : la langue arabe permet-elle le progrès scientifique et technique exigé, par exemple, pour l'exécution du plan ? Le but est, selon un ancien texte officiel, d'en faire « une langue scientifique capable d'exprimer avec précision les concepts les plus élevés de la pensée scientifique ». En fait, on est arrivé au stade du bilinguisme de facto, le français restant langue officieuse dans toutes les administrations. Seul le ministère de l'Enseignement originel et des Affaires religieuses emploie exclusivement l'arabe. Les journaux les plus lus (République d'Oran, El Moujahid, Algérie-actualités) sont encore publiés en français. Par contre, l'arabisation est totale dans la justice où, depuis la rentrée de 1971, les plaidoiries doivent être prononcées en arabe dialectal ou littéraire.

Politique extérieure

Sur le plan extérieur, le gouvernement algérien fait preuve de la même cohérence. Cette politique est :
– méditerranéenne. Le communiqué final, lors de la visite triomphale de Kossyguine à Alger, demande « le démantèlement des bases militaires en Méditerranée, pour favoriser l'élimination des foyers de tension ». Cette affirmation est reprise lors de la visite de Hedi Nouira, Premier ministre tunisien, à Alger. Un dialogue fructueux entre tous les États riverains de la Méditerranée est préconisé, et A. Bouteflika proposera une conférence méditerranéenne ;
– maghrébine. La visite officielle du président Boumediene à Tunis, en avril 1972, le montre. Les deux gouvernements lui ont attaché une grande importance et elle s'achève par l'envoi d'un message au roi du Maroc où les deux présidents proposaient une rencontre à trois. Le Grand Maghreb est évoqué, comme son rôle en Méditerranée. En fait, cette visite met fin aux désaccords nés des positions divergentes des deux États au sujet de l'affaire palestinienne. La rencontre du président Boumediene et de M. Kadhafi, à Hassi-Messaoud, le 11 octobre 1971, s'inscrit dans la ligne de cette politique maghrébine.