Journal de l'année Édition 1972 1972Éd. 1972

Les Américains ont clairement exprimé leurs revendications aux Européens : on ne se fait plus de cadeau, l'Europe doit prendre une plus grande part du fardeau de la défense du monde libre et verser quelques dividendes aux États-Unis pour l'aide que ceux-ci lui ont apportée après la guerre. Dès le mois de février 1972, il a fallu faire quelques concessions aux producteurs américains d'oranges et de tabac. Mais Washington veut plus : il réclame une nouvelle négociation commerciale à l'échelle planétaire.

Dans une telle négociation, le dossier des Européens n'est pas mauvais. Si l'on considère l'évolution des échanges commerciaux entre les États-Unis et le Marché commun depuis les débuts de celui-ci, en 1958, on observe que les Européens ont toujours acheté davantage aux États-Unis que ceux-ci n'achetaient en Europe. Le déficit — à la charge des Européens — a toujours été de l'ordre de 10 milliards de francs par an. D'autre part, le tarif douanier de la Communauté sur les produits industriels est plus faible — en moyenne — que le tarif américain (6 % contre 7,1 %), ce qui signifie que l'Europe est moins protégée que l'Amérique. Enfin, il ne faut tout de même pas oublier qu'une partie non négligeable de l'industrie européenne appartient aux Américains. De 1958 à 1970, la valeur comptable des investissements américains en Europe a été multipliée par cinq. Reste l'agriculture : les Américains reprochent à la politique agricole commune d'être discriminatoire à leur égard. C'est exact, mais quelle serait la signification d'une Communauté qui ne donnerait pas la préférence à ses propres produits, pour soutenir le niveau de vie de ses agriculteurs ?

Il est vrai qu'il existe plusieurs façons d'aider les agriculteurs et que la politique européenne n'est pas nécessairement la meilleure dans la mesure où elle est fondée sur des prix élevés, ce qui encourage certaines productions déjà excédentaires et ce qui pénalise les classes populaires, obligées de consacrer une partie importante de leur budget à des achats de produits alimentaires coûteux.

À vrai dire, derrière ces marchandages, il y a beaucoup plus que des questions de tarifs douaniers. Lorsque Malfatti, alors président de la Commission de Bruxelles (il a cédé la place en mars 1972 à S. Mansholt), a été reçu à la Maison-Blanche à la fin 1971, son interlocuteur lui a posé brutalement la question suivante, à propos de la politique européenne en faveur des agrumes des pays méditerranéens, jugée discriminatoire à l'égard des agrumes américains : « Vous voulez assurer l'équilibre politique en Méditerranée ? Soit. Mais pas avec des oranges : en prenant la place de la VIe flotte. Êtes-vous prêts ? » En somme, l'Amérique demande à l'Europe de la relever, partiellement, dans son rôle de gendarme du monde. Or, l'Europe n'a aucune volonté politique propre.

C'est ici que le débat sur les relations entre les deux rives de l'Atlantique débouche sur les questions institutionnelles. Les difficultés dans la préparation du Sommet européen sont nées du réveil de la vieille querelle entre fédéraux et confédéraux. Les hommes politiques ont beau dire, dans leurs discours, que cette querelle est dépassée, ils n'en finissent pas de la dépasser.

G. Pompidou souhaite la constitution d'un secrétariat politique, distinct des institutions européennes existantes et siégeant à Paris. La plupart de nos partenaires de la CEE souhaitent un élargissement des institutions existantes jusqu'au domaine politique et aucun ne veut du siège à Paris.

La Commission de Bruxelles de la Communauté à dix comprendra 14 membres au lieu de 9, ce qui réduira inévitablement son efficacité. Son président doit, normalement, être un Français, ce qui devrait atténuer les craintes de Paris. Mais il est clair que le débat institutionnel n'est nullement réglé.

Les limites

De toute façon, la Communauté commence à prendre conscience que, si elle n'est qu'une union douanière complétée par une politique agricole, son avenir est derrière elle. Le long processus de libération des échanges, dont la création du Marché commun a été l'étape la plus spectaculaire, arrive aujourd'hui à son terme. La crise monétaire est un signe, parmi d'autres, de cette limite.

Aujourd'hui, ce sont les entreprises, les capitaux et les hommes qui se déplacent ; pas seulement les produits. Il faut imaginer de nouvelles formes d'organisation économique. La Communauté doit se préoccuper, beaucoup plus que par le passé, non seulement de monnaie, mais aussi de politique sociale, d'actions régionales et de lutte contre la pollution. Au cours d'un colloque qu'elle a organisé, en avril 1972, à Venise, elle a pris conscience de ces dimensions nouvelles pour son action, mais il lui reste à les mettre en œuvre.