La mode

Un puzzle où chacun retient ce qui lui plaît

1970-1971 : deux saisons. En regard, deux silhouettes.

Le manteau maxi de l'hiver, cintré comme une redingote, boutonné haut, l'ourlet frôlant la cheville, le capuchon bordé.

Le manteau de fourrure, seyant et chaud, en noir ou en marron, assorti d'une jupe plate et de bottines lacées. Le short toutes jambes dehors, intrépide, juvénile, précédant le printemps dans toutes les vitrines. En deux images contrastées, un chaud et froid, un jeu de balançoire surprenant, coûteux, déconcertant.

En pièces détachées

« La mode en tant qu'état formel n'existe plus, déclare la modéliste Sonia Rykiel, mes modèles sont des mobiles qui s'emboîtent, s'empilent, s'enroulent, se complètent... » C'est l'esprit de la mode, en ce printemps 1971, et l'esprit de la rue. Il manque peut-être un fil conducteur, mais les thèmes fourmillent. Il suffit d'agencer adroitement les pièces du puzzle. Ensemble, elles créent un effet, un style. Dissociées, elles sont insignifiantes. Il est laissé au talent de chaque femme d'en faire le meilleur ou le pire usage, une subversion, un antidote, une victoire ou un échec. La mode est plus que jamais un exercice individuel, que chacune interprète librement.

La sensation du printemps, c'est donc le short. « Attribué à Courrèges », pourrait-on dire en feuilletant les archives. Mais l'idée échappe à son créateur. On la rencontre six mois plus tard étrangère, méconnaissable. Short il y a donc, à tous les degrés, dans toutes les matières : en daim, en velours frappé, en lainage, en jersey, accompagné de chemisiers ou de maillots débardeurs qui montrent les bras, le cou, et ajustent la taille. Il peut être ingénu, avec des bas de laine assortis et des sabots à semelle de liège, et provocant en satin, au-dessus de bottes cuissardes. « Moins érotique que la minijupe... », tel est le verdict masculin.

Le short paraît simultanément dans les vitrines et les salons des couturiers. Dior s'en défend, Chanel l'ignore, Givenchy et Cardin l'habillent d'une jupe boutonnée ou d'une chaste robe-chasuble. Chez Saint-Laurent il est en gabardine noire, complété d'un turban, d'un bain de soleil réduit parfois à un rang de perles, et d'un veston sévère. En vente promotionnelle dans les grands magasins, le short est en mailles, à revers, et à petit prix.

Un succès plus paisible est promis au blazer, en coton ou en lainage, uni, rayé, à fleurs. Il accompagne les shorts, les pantalons et, sans distinction d'âge, la jupe-culotte et les robes imprimées. Le blouson, devenu casaque, emprunte au jockey son brio, ses couleurs, son satin brillant.

Les « bleus » des loisirs

Paradoxe : les vêtements de travail sont annexés par les loisirs. Pour la façon et les tissus. Réservées jusqu'ici aux cottes, aux bleus, la moleskine, la toile deviennent vestes, chemises, pantalons pour l'été. C'est dans ce style, baptisé sportswear, que nombre de commerçants placent leurs espoirs de vente. Le camouflage vrai ou faux, acheté parfois dans les surplus, est largement utilisé pour la tenue de campagne. C'est, coloré, comme un tronc d'arbre, de bronze, de terre et d'écorce, l'homme saisi par son environnement.

Le panorama de la mode s'étend aujourd'hui au monde entier. Il suffit de s'installer dans le hall de l'aéroport d'Orly pour s'en convaincre et s'en divertir. Les boubous du Sénégal, les bracelets, les soies indiennes rapportées de Katmandou, les djellabas, les trésors poussiéreux achetés aux fripiers de théâtre, ou découverts aux Puces, l'extraordinaire épanouissement de couleurs et de fantaisie observé dans les foules pop, à Woodstock, dans l'île de Wight, modifient à leur tour les goûts et l'optique populaires.

Pommes et papillons

Lent à s'acclimater en France, le pop entre dans une phase active, alors même que les festivals de musique pop semblent aller vers leur déclin. Il s'étend à la confection, aux bijoux, au décor.

Papillons, fleurs et fruits décorent les tee-shirts et les blousons. Les merceries vendent en sachet des motifs « pop » prêts à poser, que l'on applique d'un coup de fer. Les plus patientes ont la ressource de broder des paysages sur l'empiècement de leur robe, ou de peindre à la main, sur la soie de leur blouse, leur numéro de téléphone.