Si la recherche d'innovation, côté laboratoires, reste intense, l'apparition de réelles nouveautés sur le marché se fait attendre. Bien sûr, la plupart des grands sortent de nouvelles séries, mais ce n'est pas la fameuse quatrième génération dont on parle depuis quelques années... en fait, depuis la désignation de troisième génération donnée aux ordinateurs de la série 360 IBM et aux machines de même type. Si l'on voulait extrapoler en partant des générations précédentes : machines à lampes (première), machines à transistors (deuxième), machines à micro-circuits (troisième), on serait amené, toujours dans la voie de la miniaturisation et de la rapidité qui l'accompagne, aux machines à circuits moléculaires : assemblage microscopique de milliers de transistors, résistances, diodes au sein même du matériau solide. On va dans cette direction : l'intégration à grande échelle arrive déjà à loger des centaines de composants dans un minuscule cristal. Gain de vitesse, donc de puissance. En fait, les nouvelles machines se situent à la génération trois et demie.

Ce que les constructeurs proposent aux utilisateurs, traumatisés naguère par l'irruption de la troisième génération, ce n'est plus la joyeuse révolution des ingénieurs qui fracassent les murs de la technique conventionnelle (le break through des Américains), mais le fignolage, l'amélioration qui permet d'abaisser de 20 à 50 % le coût de la seconde de calcul.

La fin d'un rêve

En ce sens, on peut dire que l'informatique devient majeure : l'ère des merveilles techniques, du cerveau électronique, est dépassée. Les facteurs économiques reprennent leur place prépondérante. L'ordinateur devient un outil, certes plus remarquable que les autres, moins bien connu, mais un outil quand même, dont on cherche à chiffrer la productivité et auquel on ne demande plus la guérison miraculeuse d'entreprises malades.

Mauvaise année, 1970, pour l'économie américaine. Wall Street s'écroule, les ingénieurs de l'aéronautique sont au chômage. L'industrie vedette, celle qu'aucune dépression ne devait atteindre, l'informatique elle-même, se heurte pour la première fois aux dures réalités de l'Occident industriel.

Premières atteintes, les maisons de software. Un ordinateur n'est rien qu'un amas de composants électroniques ne pouvant servir à quoi que ce soit si on ne lui fournit un programme détaillé, pas à pas, de toutes les opérations élémentaires qu'il doit accomplir : calculs, comparaisons, comptages. Un simple programme de paie ou de tenue de stocks peut comporter des milliers d'instructions. Ceux qui conçoivent et écrivent ces programmes, ce software, sont les rois : salaires étonnants, liberté d'artiste ; on se les arrache, on les adule, on les courtise. Beaucoup décident de voler de leurs propres ailes, fondent de petites sociétés de service, qui écrivent des programmes sur mesure pour les utilisateurs, ou qui vendent de la confection, des packages : programmes de paie, de routage, etc., devant (en principe) pouvoir servir dans n'importe quelle entreprise, avec des modifications mineures.

Wall Street, qui avait parié sur cette activité nouvelle, désabusé, laisse s'effondrer les cours. Les sociétés disparaissent, fusionnent. On trouve des informaticiens, sur le marché du travail des États-Unis, à des prix raisonnables.

Un inquiétant déballage

Tout le monde souffre, d'ailleurs, surtout dans la seconde moitié de 1970, aux États-Unis. Les sociétés de temps partagé, le fameux time-sharing, qui mettent, au moyen de terminaux sur place, la puissance d'un gros ordinateur, à distance, à la disposition de nombreux usagers, ont du mal à joindre les deux bouts. Certaines disparaissent. Seuls, les fabricants de périphériques, ces « organes des sens » de l'ordinateur, semblent se défendre et même progresser. L'argent rare et cher, la nécessité d'économies poussent les utilisateurs à tirer le meilleur parti de leurs ordinateurs en fignolant les accessoires.

Au marasme général qui frappe une industrie jusqu'alors exubérante vient s'ajouter, en 1970, une décision d'IBM qui jette le trouble chez les informaticiens et leurs employeurs ou clients. C'est l'unbundling, traduit diversement par « déballage », « déficelage », « débottelage ». Traditionnellement, la compagnie géante (300 000 employés à travers le monde, au moins 65 % du marché planétaire) vendait, et surtout louait, ses machines et ses services en un « paquet » (bundle) unique : ordinateurs, périphériques (le hardware), programmes de base, mise en route, formation du personnel chez le client, entretien (le software), tout cela était fourni conjointement. Une seule facture à payer, IBM faisait le reste.