Les causes en sont diffuses et malaisées à cerner exactement. La bataille des élections municipales, qui s'engage dès le mois de janvier dans les localités où elle revêt un certain caractère politique, contribue à animer le débat entre la majorité et l'opposition. Si les arguments échangés ont trait le plus souvent aux affaires locales, comme il est naturel, la critique du régime d'un côté, l'anticommunisme et l'accusation de complicité avec le PC de l'autre, se font plus incisifs. L'agitation tant sociale qu'universitaire reprend ou plutôt se concrétise dans quelques affaires très commentées. L'affaire Guiot, ce lycéen arrêté et condamné, puis jugé de nouveau et cette fois acquitté après d'imposantes manifestations de jeunes, trouve dans l'opinion un certain écho. La grève des mineurs, celle de l'ORTF, les nombreux conflits locaux nés des concentrations et regroupements d'entreprises ou exprimant une insatisfaction qui ne tient pas seulement à la reprise de la hausse des prix et au niveau des salaires, défraient la chronique. Les petits commerçants du CID-UNATI de Gérard Nicoud, les paysans, manifestent eux aussi avec vigueur.

À l'extérieur, le conflit pétrolier qui affecte les relations franco-algériennes prend l'allure d'un échec ou, au moins, d'un défaut de prévision du pouvoir. Parallèlement, les perspectives européennes semblent floues et, à travers la rencontre Pompidou-Brandt du mois de janvier, divers sentiments se font jour dans le public : la crainte d'un rapprochement très net, rapide et durable entre la République fédérale et l'Est, la double et contradictoire réaction — faite d'inquiétude et d'impatience — que suscite la négociation entre la Grande-Bretagne et les Six pour l'élargissement du Marché commun.

Ruptures et agitation

Ces tiraillements retentissent dans la majorité : une concurrence électorale oppose parfois des gaullistes de l'UDR à leurs partenaires giscardiens ou duhaméliens, et au sein même du mouvement gaulliste des ruptures se produisent. Certes, les démissions de Jacques Vendroux, beau-frère du général de Gaulle, et de Christian Fouchet, qui quittent l'UDR au début de février, n'ont pas valeur d'exemple et la nomination d'un autre gaulliste de la vieille garde, Pierre Messmer, comme ministre d'État colmate vite la brèche. Il reste que les résultats des élections municipales des 14 et 21 mars donnent à réfléchir à la majorité, qui enregistre, à côté de quelques succès, des déceptions et plusieurs échecs.

Or, sur cette toile de fond, vont bientôt s'inscrire un nouveau regain de l'agitation après les vacances de Pâques et aussi une certaine clarification de la situation dans l'opposition de gauche. Dégradations à l'École normale supérieure, incidents fréquents au Quartier latin, manifestations au Sacré-Cœur, affaire Jaubert (un Journaliste qui accuse la police de l'avoir passé à tabac), violences place Saint-Michel, bagarres et coups de feu à Grenoble... Chaque jour, de nouveaux épisodes grossissent le dossier, exploités par les partisans de l'ordre et orchestrés par les gauchistes, parfois soutenus et relayés dans leurs protestations par des groupes sociaux, des personnalités, des jeunes inorganisés. Le grand thème de discussions de ce printemps animé est la violence, violence légale accusent ceux qui mettent en cause la société, violence aveugle et vaine répliquent les responsables de l'ordre et, avec eux, la grande masse de l'opinion.

Un retour en force

Pour les états-majors politiques cependant, ces controverses n'éclipsent pas le coming back de François Mitterrand, qui, après des mois de préparatifs discrets et de démarches prudentes, réussit à s'imposer, en juin, à la tète d'un parti socialiste qui parait retrouver un dynamisme et une alacrité oubliés. Ce retour en force du challenger de l'élection présidentielle de 1965 ne règle pas tous les problèmes, il n'en règle même aucun ; mais il alarme la majorité, qui jugeait évidemment plus confortable de trouver en face d'elle une opposition en miettes, et il rend quelque crédit à la gauche.