Une personnalité américaine peu suspecte de partialité a publié au début de l'année 1971 un rapport très détaillé sur la nature et les applications des engins satellisés en dix ans d'ère spatiale. Il s'agit de Charles S. Sheldon, qui dirige la section de la recherche scientifique à la célèbre bibliothèque du Congrès des États-Unis. Retenons de ce rapport les chiffres qui suivent : à la fin de l'année 1970, les États-Unis avalent réussi 514 satellisations circumterrestres, se décomposant en 200 engins civils de la NASA, 41 satellites « civils » lancés officiellement pour le compte du ministère de la Défense et 273 satellites militaires. Pendant la même période, l'URSS avait procédé à 465 satellisations. Bien que manquant de renseignements sûrs, l'auteur estime à plus de la moitié le nombre de ces engins ayant un caractère plus ou moins militaire.

Toute fusée, tout satellite civil, peuvent apprendre quelque chose aux services militaires. C'est pourquoi Sheldon croit pouvoir affirmer que les 3/5 des vols spatiaux américains sont réalisés pour le compte du ministère de la Défense, bien que les 2/3 des dépenses dans ce domaine soient faites par le canal de la NASA, organisme civil. Un exemple récent et peu connu montre à quel point l'emprise des militaires sur la recherche spatiale s'oppose à toute velléité de coopération internationale.

Le lanceur Diamant B français a réussi ses trois satellisations avec toutefois de sensibles écarts d'altitude par rapport aux prévisions, écarts attribués a priori à l'effet Pogo (la résonance entre le moteur et la structure de la fusée engendre de fortes vibrations). Ces vibrations ont été enregistrées au sol et, tout en faisant des recherches pour son propre compte, le CNES a communiqué ces enregistrements à la société américaine Aerospace Inc. et lui a commandé l'étude du problème. On apprenait au printemps dernier que cette firme ne pouvait communiquer ses conclusions au CNES — conclusions relatives à une fusée française ! — parce que l'Aviation américaine (l'US Air Force) le lui interdisait...

Un autre sujet d'étonnement pour les négociateurs européens aura été l'attitude du gouvernement américain qui a jeté un autre interdit : pas de coopération là où l'espace peut rapporter de l'argent.

La conception américaine de la coopération, pour ce qui a trait à ces applications commerciales, est éloquemment illustrée par l'Intelsat, consortium international qui exploite le réseau actuel de satellites-relais non soviétiques.

Les 77 pays membres ont investi dans l'Intelsat 350 millions de dollars. Sur ce total, la part des États-Unis a été de 52 %, mais, au moment de passer les commandes de matériel, l'industrie américaine s'est vu attribuer 92 % de ces capitaux.

« Post-Apollo »

Ce vaste programme américain se propose l'installation de stations orbitales autour de la Terre et la mise au point d'un véhicule aérospatial (tenant à la fois de l'avion et du vaisseau cosmique) prévu pour faire la navette entre ces stations et le sol. En novembre 1970, à court d'argent, la NASA était toujours désireuse de s'assurer la coopération de l'Europe pour la réalisation de ce vaste projet. Elle semblait favorable à une entente sur les bases suivantes : l'Europe contribuerait à concurrence de 10 % à l'étude et à la réalisation de la navette, ce qui représenterait un milliard de dollars à dépenser en dix ans.

Pour dégager cette somme, les Européens auraient renoncé à développer leurs lanceurs Europa. Aussi, en contrepartie, la NASA leur aurait vendu des fusées pour qu'ils puissent lancer leurs satellites. En outre, ayant contribué à la réalisation du programme post-Apollo, les Européens devaient logiquement avoir accès aux informations technologiques de cette réalisation et jouir de la possibilité de se servir de la navette.

Dès ce même mois de novembre, l'US Air Force commença à manifester l'intérêt qu'elle portait depuis toujours au matériel post-Apollo, dont elle se considérait partie prenante. Toutefois, la mainmise des militaires sur ce projet n'était pas encore reconnue. Aussi, au début de l'année 1971, les deux organisations de la recherche spatiale européenne — la CECLES-ELDO et la CERS-ESRO — demandaient aux industriels du vieux continent de formuler des suggestions et d'établir des avant-projets en vue d'une collaboration européenne aux projets américains. En particulier, une étude a été commandée concernant l'engin Tug, qui est une navette interorbitale non pilotée, tandis qu'un autre groupe industriel était chargé de formuler des propositions relatives au moteur de cette navette.