La contestation a inspiré quelques auteurs dont le souffle parait un peu court si on les compare à certains cinéastes américains ou italiens. Un jeune, Yves Boisset, a réservé dans un bon policier de série, Un condé, quelques flèches empoisonnées à la police, qui ne se voit guère plus ménagée dans les Aveux les plus doux, d'Édouard Molinaro. Marcel Carné, malgré quelques complaisances, a signé avec les Assassins de l'ordre son meilleur film depuis longtemps. Servi par un scénario vigoureux, il n'a pas craint d'attaquer avec fougue certaines institutions que l'on croyait cinématographiquement inattaquables. L'armée elle-même est âprement critiquée dans Biribi, de Daniel Moosmann. Mais il s'agit d'un cas d'exception traité avec un esthétisme qui frôle l'imagerie. La nouvelle vague marque le pas. François Truffaut, dans Domicile conjugal, imite le René Clair des années 1930 ; Claude Chabrol, dans la Rupture, Juste avant la nuit, s'imite lui-même. Jacques Demy se réfugie sous la tutelle de Perrault avec un film gracieux et décoratif : Peau d'âne. Agnès Varda succombe au charme de la métaphysique hippie : Lion's Love. J. Doniol-Valcroze a enfin trouvé son public avec la Maison des Bories, Claude Sautet (Max et les ferrailleurs) a conservé le sien, celui qui avait accueilli triomphalement les Choses de la vie. Michel Deville retrouve dans Raphaël ou le Débauché la veine de Benjamin, avec peut-être un brin d'amertume supplémentaire. Jean-Gabriel Albicocco (le Petit Matin) reste fidèle à sa préciosité de style.

Infiniment plus séduisant est le Genou de Claire, conte moral (et immoral), d'Eric Rohmer. Cet exercice de style très réussi brode de subtiles variations autour d'un thème libertin. Jean-Claude Brialy a enfin trouvé dans ce rôle de Don Juan piégé et piégeur une interprétation à la mesure de son talent. Le film a conquis le grand public. Même succès public — très inattendu celui-là puisque aucun distributeur ne voulait programmer le film — pour Elise ou la Vraie Vie, de Michel Drach. Dans le désert d'un cinéma français narcissique, Drach n'a pas hésité à réveiller des souvenirs que d'aucuns auraient voulu voir enfouis à jamais. Mais il va plus loin, et en contant le difficile amour d'une jeune ouvrière et d'un manœuvre algérien il met en garde contre les ravages du racisme en prouvant que cette gangrène contamine tous les milieux : ouvriers et bourgeois.

Parmi les films de jeunes auteurs, il faut noter un sympathique succès, les Mariés de l'an II, où Jean-Paul Rappeneau s'est souvenu avec bonheur de Fanfan la Tulipe ; une œuvrette mélancolique et curieuse, le Bateau sur l'herbe, de Gérard Brach, illustration en forme de tragi-comédie d'un refus du monde adulte ; un essai insolite qui fait déboucher le réalisme sur la science-fiction, l'Alliance, de Christian de Chalonge ; enfin une étonnante révélation, Remparts d'argile, de Jean-Louis Bertucelli. Quelques films de facture traditionnelle : le Chat, de Pierre Granier-Deferre, Laisse aller, c'est une valse, de Georges Lautner, Un aller simple, de José Giovanni, Comptes à rebours, de Roger Pigault. Quelques ratages complètent une production française abondante mais rarement exaltante (à deux ou trois exceptions près). Parmi les échecs artistiques notables, il faudrait souligner ceux de René Clément, la Maison sous les arbres, de Georges Franju, la Faute de l'abbé Mouret, de Robert Enrico, Un peu, beaucoup, passionnément, de Marcel Camus, le Mur de l'Atlantique, de Claude Berri, le Cinéma de papa, de Jean Herman, Popsy Pop, de Gérard Pires, Fantasia chez les ploucs, de Sergio Gobbi, Un beau monstre, de Roger Kahane, Sortie de secours et Madly.

Le poème onirique et surréaliste de l'Espagnol Fernando Arrabal, Viva la Muerte, est difficilement classable. Arrabal, qui se souvient de Goya et de Buñuel, a laissé ses fantasmes occuper l'écran avec une violence parfois insoutenable. Du Territoire des autres, de François Bel et Gérard Vienne, il suffit de dire qu'il s'agit d'un des rarissimes exemples de documentaire intelligent pour en montrer l'importance. Dans un genre où le disneyisme avait eu une influence des plus fâcheuses, c'est une œuvre à marquer d'une pierre blanche.