Avec un succès relatif (peut-être parce qu'on attend de lui qu'il réécrive l'Été à perpétuité) Romain Weingarten a fait jouer une pièce étrange, prenante, difficile : Alice dans les jardins du Luxembourg. Si la plupart des critiques, perplexes, n'ont pas su défendre cette œuvre poétique avec la conviction nécessaire, ils auront été unanimes à saluer la performance de Michel Bouquet, apoplectique locataire d'un œuf géant et prodigieux interprète d'une colère inspirée. C'est l'honneur de théâtres privés, comme celui des Mathurins, de soutenir contre un public paresseux des spectacles de qualité.

Chaque année, il nous arrive de l'étranger quelques dramaturges — généralement anglo-saxons — dont on attend merveille. En hiver, Edward Bond, on l'a vu, n'a guère convaincu, ni, au printemps, Israel Horowitz, pâle copie de ses prédécesseurs en absurdie. Seul le Britannique David Mercer a semblé nous apporter un humour original dans Massacrons Vivaldi, curieuse parodie du Boulevard adaptée (et jouée avec sa merveilleuse nonchalance) par Rolland Dubillard. Mais une seconde pièce du même auteur, Haggerty où es-tu ?, n'a pas confirmé cette première impression favorable. Le point d'interrogation demeure.

Si l'interprétation du Borgne est roi, à l'Espace Cardin, n'a pas déçu pour une fois (Maria Casarès et Sami Frey surtout s'y montraient fort attachants), l'œuvre du romancier mexicain Carlos Fuentes était bien inutilement obscure et trop influencée par Genêt et Ionesco.

On pouvait d'ailleurs en dire autant de la Nuit des assassins, au théâtre Récamier ; il s'agissait d'un psychodrame parfois laborieux, dû au Cubain José Triana. Au moins était-ce l'occasion de guetter les vrais débuts du jeune Francis Huster, sur qui on fonde de sérieux espoirs.

Le Berliner ensemble

La seule grande leçon de théâtre qui nous soit venue de l'étranger cette année, c'est au Berliner Ensemble qu'on la doit. Au cours d'une tournée dans les maisons de la culture de banlieue, la célèbre troupe fondée par Bertolt Brecht a présenté trois œuvres de lui : les Jours de la Commune, pièce linéaire qui célébrait en quelque sorte le centenaire de l'insurrection parisienne ; le Commerce du pain, farce ancienne, très singulière, qui nous ramenait à l'époque de la crise des années 30, et puis, une fois de plus, la Mère, d'après Gorki. Un drame didactique, parfois pesant, démonstratif, un rien proche du mélodrame révolutionnaire, mais qui prenait soudain une dimension exceptionnelle grâce à la seule présence d'Hélène Weigel, admirable de tenue et d'âpreté. Ce devait être la dernière apparition sur la scène de cette grande dame, gardienne de l'orthodoxie et de la liturgie brechtiennes. Suivies avec le respect, devenu rare, d'un public jeune et fervent, ces représentations rigoureuses n'en sont que plus mémorables.

En France, toutefois, de nouveaux noms continuent d'apparaître, parcimonieusement. Certains de ces jeunes auteurs ne passeront peut-être pas le stade des promesses, mais il pourrait aussi se trouver parmi eux le futur Obaldia ou le prochain Dubillard.

Ainsi Jean Thevenin, avec Octobre à Angoulême, nous a chanté à la Cité universitaire la complainte de mai 68 sur le mode ironique, en une sorte de comédie musicale aimablement mirlitonnée, où l'allégorie transparente ne manquait pas de verve, d'idées, bien qu'un peu simplettes parfois. Dans la même salle, un peu plus tard, Jérôme Savary a installé son Grand Magic Circus pour y donner, dans une ambiance foraine assez délirante, des Chroniques coloniales farfelues. Le snobisme aidant (il peut avoir du bon), cette contestation frénétique et bon enfant du théâtre de papa a connu le succès inespéré qu'accapare d'ordinaire le Boulevard.

Hommes nouveaux

Au Lucernaire, la présence magnétique de Laurent Terzieff aura beaucoup fait pour servir l'intéressant Homme couché de Carlos Semprun, cousin surréaliste du paresseux Oblomov, et pour apprendre à un plus large public le chemin de cette petite impasse où l'on défend des œuvres de valeur.