Journal de l'année Édition 1971 1971Éd. 1971

La proposition d'un jeune banquier américain d'assumer les frais du sauvetage n'a pas été entendue ; pas plus que les signataires du manifeste Sauvez les Halles. Par 53 voix contre 37, le Conseil de Paris décide, le 28 juin, de livrer aux bulldozers (en juillet ou août) ces témoins de la construction métallique du XIXe siècle.

Non loin de là, pour répondre à un vœu formulé par le président de la République, commencera de sortir de terre vers 1972 le centre national d'art contemporain. Soixante-dix mille mètres carrés de musée, de salles d'exposition permanentes, de galeries et de collections dont l'auteur sera le lauréat d'un concours international.

Parmi les réalisations achevées au cours de l'année 1970-71, il serait injuste de ne pas mentionner quelques œuvres intéressantes, qui se détachent de la grise monotonie où s'enlise trop fréquemment l'architecture, surtout lorsqu'elle se veut utilitaire. La construction déçoit un public que rebute chaque jour davantage les longues et mornes façades percées de trous des machines à habiter où il se voit contraint de passer sa vie... C'est très probablement pour ces raisons que l'homme de la rue et l'amateur sont l'un et l'autre agréablement surpris lorsqu'ils rencontrent des bâtiments où la recherche d'une beauté formelle est indéniablement inscrite dans chaque pignon, chaque fenêtre, chaque courbe.

Des réussites

Ainsi, les immeubles-tours que Jean Balladur a édifiés dans le secteur Plaisance, rue de Vouillé (XIVe arrondissement), apportent-ils la preuve irréfutable qu'avec des budgets normaux (il s'agit ici d'appartements du type HLM), un architecte peut, pourvu qu'il ait et du talent et de l'imagination, réaliser une œuvre aux très grandes qualités plastiques. En partant d'éléments de façades préfabriqués, J. Balladur a composé un ensemble qu'un remarquable jeu de loggias et de balcons, allié à un choix judicieux des couleurs, fait se détacher de façon flagrante dans un contexte où la médiocrité prédomine.

Autre exemple, le centre hospitalier de Clamart, dû à Henry Pottier, où des volumes adroitement opposés et des façades aux reliefs profondément accusés rompent avec la platitude désolante si souvent de rigueur en matière d'architecture hospitalière. Un hôpital à la fois imposant et gracieux, qui, pas un seul instant, ne laisse transparaître le sentiment de tristesse généralement plaqué sur les hôpitaux anciens.

Il faut citer encore l'ensemble d'HLM de la Grande Borne, à Grigny (Essonne). Trois mille sept cents logements au total, soit près de 15 000 habitants. On aurait pu se contenter d'aligner des barres et de dresser, ça et là, quelques tours pour donner à ces alignements une réplique verticale. Émile Aillaud avait déjà donné les preuves des ressources de son imagination en construisant notamment le quartier des Courtillières, à Pantin.

À la Grande Borne, il a dessiné des façades dont le mouvement sinueux étonne d'abord. Pour peu qu'on s'en approche, que l'on y regarde de plus près, elles font naître une certaine émotion ; cette petite ville a une âme. Ces places, ces escaliers, ces façades multicolores, ces creux, ces bosses, les noms des rues et des maisons, ce portrait de Rimbaud au détour d'un pignon, tableau de mosaïque, la forme d'une demi-pomme plantée haut sur un mur, tout, à la Grande Borne, rappelle que les villes ne se font pas seulement avec un té et une équerre ; elles requièrent de la tendresse et juste assez de poésie pour qu'on puisse se croire dans une ville qui aurait mis des dizaines d'années à pousser, et non dans une cité achevée la veille.

Lignes obliques

D'autres architectes, et Claude Parent est du nombre, orientent le meilleur de leurs activités dans la recherche constante de solutions inédites. Après avoir produit une architecture volontairement brutale, toute fondée sur le béton, matière puissante et lourde, où il a sculpté des volumes massifs (supermarché à Reims, église à Nevers, etc.), Claude Parent croit avoir trouvé dans les lignes obliques de nouvelles raisons de poursuivre la quête incessante qui a pour but l'amour de bâtir plus juste. Des façades inclinées qui s'appuient les unes sur les autres, et, à l'intérieur des immeubles, des sols et des plafonds renonçant à toute verticalité, tel est (sommairement esquissé) le système auquel il consacre ses efforts. Mais Claude Parent ne se contente pas de rêver le crayon à la main. Sa ligne oblique, il l'a expérimentée à la dernière Biennale de Venise, en y construisant le pavillon de la France, où chaque niveau, sans exception, était tracé en plan incliné, selon des pentes variables, dont la juxtaposition organisait un espace nouveau, et des cheminements parfois délicats à suivre, aux sens propre et figuré.