Une pareille ascèse fait trouver de la chaleur aux « horographies » de Viseux (le Point Cardinal, déc. 1970), ne serait-ce que dans l'ironie qui préside à la présentation de ces belles mécaniques, acier poli, axes bien huilés, impressionnantes roues dentées, qui refusent obstinément de se mettre en marche. Et plus encore aux derniers stabiles de Calder (Maeght, févr. 1971), dont la Vache espagnole rouge qui rit est toute humour et harmonie, et aux variations plastiques qu'exécute Henry Moore (musée Rodin, mars-avril 1971) à propos d'un crâne d'éléphant.

Transmission

Seul Jorn (Jeanne Bûcher, déc. 1970 - janv. 1971) tient encore à une communication, entre l'artiste et sa peinture, entre l'artiste et son public, en dehors de toute structure intelligible. Des formes qui se distendent, se dissolvent, puis se recomposent dans une énorme houle colorée, fête enfantine et sacrifice barbare : Le vent nous emporte, L'irrationnel incliné, la Luxure lucide de l'hyperesthésie, autant de titres qui traduisent le lyrisme et la sensualité d'un peintre qui croit à une transmission, « immédiate et globale », à travers la couleur du contenu du tableau.

Classiques contemporains

Les musées nationaux ont cependant offert leurs cimaises à la rétrospective de quelques grandes aventures créatrices de notre temps, certaines closes depuis peu, d'autres toujours vives.

Au Grand Palais, en même temps que la France nostalgique de Cartier-Bresson (21 oct.–30 nov. 1970), qui s'affirme « peintre de tempérament », et un délicat hommage à Christian et Yvonne Zervos (12 déc. 1970-18 janv. 1971), dont les Cahiers d'art ont tant fait pour la connaissance et la diffusion de l'art moderne, se sont succédé deux œuvres de résonance différente, l'une plus discrète, l'autre plus engagée.

André Beaudin (20 oct.-30 nov. 1970) témoigne d'une fidélité d'un demi-siècle à une éthique déjà sensible dans ses premières toiles. Equilibre des formes, vibrations légères, tout un art de la mesure et de la retenue est perceptible dès avant l'aventure cubiste et l'amitié de Juan Gris. Art patient fait de thèmes sans cesse repris : le cheval, monture mythologique (les Chevaux solaires, l'Enlèvement d'Europe) ou modeste compagnon des instruments rustiques (les Chevaux à la lucarne), la forêt (Jeux dans la forêt, Sous-Bois, Jeunes Arbres), les oiseaux, le vent, l'eau. Vert, gris, jaune, bleu, « couleurs murmurantes ». La lumière, toujours en suspens, s'exhale de la toile ; les mouvements, les objets sont signalés plutôt que soulignés. Un brin d'herbe dit toute la campagne. Beaudin ne voyage pas, ne se disperse pas. Il sait attendre, il a pour lui la durée.

Supériorité de la nature

Tout au contraire, la courbe d'Hélion (11 déc.-8 févr. 1971) n'est pas unie. Elle procède par ruptures, heurts et retours. De la Soupière blanche de 1928 à l'Entrée de métro de 1970, que dit Hélion ? La nature banale, quotidienne, morte le plus souvent. Mais entre deux réalismes, il a participé, avec Théo van Doesburg, Otto Carlsund, Wantz et Léon Tutundjian, à la création du groupe Art concret.

De 1930 à 1938, ses compositions répondent fidèlement aux principes exprimés dans le manifeste de la peinture concrète : l'œuvre est entièrement conçue et formée par l'esprit avant son exécution ; elle ne doit rien recevoir des données formelles de la nature ; elle exclut la sensualité, le lyrisme, le symbolisme ; la technique est exacte, anti-impressionniste. Mais dès 1934 Hélion remarque dans ses Notes de travail : « La supériorité de la nature est d'offrir le maximum de complexité de rapports. C'est vers elle que je vais à grands pas. » Vienne alors un choc, la guerre : il abandonne plusieurs compositions abstraites pour peindre la grande toile figurative Au cycliste (1939). Son œuvre devient une rentrée de plus en plus profonde dans la réalité journalière, des Hommes assis aux Mannequineries, puis aux Chrysanthèmes. Hélion « va à la vie comme chaque jour chez le boulanger ».

Sa longue phrase plastique lie sur le rythme de l'épopée le garçon de café, le clown, le lecteur de journal, l'égoutier, le porteur de viande (Monument pour un boucher, 1964). Hélion a trouvé dans la rue l'espace esthétique idéal, qui reproduit les images, les songes, qu'il porte en lui.

Le même thème

À ce problème de l'espace, Poliakoff (musée national d'Art moderne. 23 sept.-16 nov. 1970) apporte une tout autre solution. Trouvée tardivement d'ailleurs. De l'expressionniste Vue de Seine, de 1938, à ses premières compositions des années 50, Poliakoff a piétiné, travaillé. Chaque élément, matière, couleur, lumière, ligne est pris et repris jusqu'à ce qu'il s'intègre dans une construction à la fois sensible et rigoureuse, le tableau lui-même formant comme une partie du grand tableau que compose l'œuvre des quinze dernières années. Insoucieux des modes et des écoles, il reste fidèle à ses premières fascinations : les fresques italiennes et la peinture des sarcophages égyptiens. Plus son art s'affine et se creuse, plus il prend un caractère monumental ; des gris monocordes aux rouges vibrants et aux bleus sourds, la couleur se fait architecture et dévoile cette « lumière intérieure » que Poliakoff n'a pas cessé de vouloir mettre au jour.

Bonheur de peindre

Ce désir d'explorer inlassablement un même thème est aussi particulièrement sensible chez Bram van Velde (musée national d'Art moderne, 1er déc. 1970-25 janv. 1971). Œuvre rare (moins de 400 numéros au catalogue en près de soixante ans) et homogène. Dès 1939, Bram, après une période expressionniste d'une force particulière et la découverte enthousiaste de Matisse, peint de grandes gouaches qui annoncent à la fois la peinture « gestuelle » de l'après-guerre et la nouvelle école américaine.