Or, ce cri, quelques-uns l'avaient déjà poussé il y a près de trois quarts de siècle et, destin dérisoire, ce n'est qu'au musée qu'il rencontre cette année un écho véritable.

Ce n'est pas un hasard si l'œuvre d'Hector Guimard se trouve au cœur de deux expositions d'origine et de propos différents, mais étroitement complémentaires : l'une au musée des Arts décoratifs (Pionniers du XXe s., 15 mars-31 mai) montrant les architectes de « l'Art nouveau » aux sources à la fois de la philosophie de l'art et de l'art de vivre modernes ; l'autre organisée aux Halles de Baltard, sur l'initiative de la Délégation à l'aménagement du territoire (l'Espace collectif, ses signes, son mobilier ; 22 nov. 1970-31 janv. 1971), expliquant le rôle de la ville et de ses réseaux de circulation dans la conception et la réalisation de toute action esthétique. Pierre, bois ou fer métamorphosés en feuilles, en fleurs, en lianes composent des guéridons, des escaliers, des façades frémissantes, la station de métro dessinée en 1900 pour la place de la Bastille et qui préfigure étrangement les volutes de béton conçues par Saarinen pour l'aéroport Kennedy à New York.

Ce retour à un créateur méconnu ne procède ni d'une nostalgie pour la Belle Epoque ni d'une curiosité anecdotique pour la traduction audacieuse de fantasmes personnels. Il témoigne du désir que l'on a, après cinquante ans de Bauhaus mal assimilé, de retrouver dans les objets l'empreinte de l'homme, d'établir de nouveaux rapports sociaux entre les foules solitaires séparées par des espaces (parcs et autoroutes) livrés à la prolifération de l'automobile.

Il révèle aussi la conscience que l'on prend qu'une réaction à l'égard d'un élément du cadre de vie (monument, sculpture, lampadaire, panneau de signalisation) engage l'être tout entier. L'art dans la rue et dans la vie relève donc moins d'interventions insolites ou de happenings sporadiques que d'un aménagement global d'espaces de travail et de loisir.

L'œuvre d'usage

C'est également la conclusion que l'on peut tirer de l'exposition Art et architecture, bilan et problèmes du 1 p. 100 (Halles centrales de Paris, 29 sept.-31 oct. 1970) : les exemples les plus probants de « décoration » des établissements scolaires, depuis une vingtaine d'années, montrent que les œuvres proposées par les peintres et les sculpteurs sont elles-mêmes des architectures. « L'œuvre d'usage » se révèle ainsi le meilleur moyen d'initiation culturelle du public, qui l'aborde sans rite ni étiquette : ainsi du parc Güell de Gaudi ou du projet de métro aérien de Kowalski, « sculpture qui se promène » à travers une ville nouvelle.

Moyen d'autodestruction

Si l'on s'en tient au chiffre d'affaires de la dernière foire de l'art actuel à Cologne (octobre 1970), l'art contemporain se porte bien : 5 millions de mark. Près de 50 000 visiteurs ont pu choisir entre les boîtes de soupe du pop'art et une collection de costumes de feutre présentée à côté d'autres objets de l'art conceptuel.

Mais le bilan véritable se situe sur un autre plan. Inventé pour désigner la nouvelle peinture anglaise des années 60, le pop'art est très vite apparu comme l'expression artistique la plus spécifiquement américaine qu'aient connue les États-Unis. Alors que la musique pop' est devenue un produit de consommation courante, collectionneurs et musées paient très cher le droit de posséder les œuvres de Rauschenberg et d'Andy Warhol (musée d'Art moderne de la ville de Paris, 16 déc. 1970-16 janv. 1971).

Boîtes de conserve ou de poudre à récurer, fleurs géantes aux couleurs plates, portraits criards de Liz Taylor et de Marilyn Monroe composent une mythologie quotidienne. La répétition obsessionnelle d'une même image écrasée par de grands aplats de couleur dénonce la présence de la mort sous les moindres objets de la vie de tous les jours.

De la banalité accumulée naît l'étrange. Sous la contemplation sans cesse reprise, l'objet tenu à distance perd son contexte rassurant : le dollar apparaît comme un montage dadaïste ou un paysage fantastique. Figé, embaumé, le monde est fait pour aboutir à un tableau.

Des histoires vraies

C'est ce que pense aussi Kienholz (CNAC, 13 oct.-16 nov. 1970), mais avec le désir que ses assemblages, ses « environnements » introduisent, en retour, à une lecture plus lucide du monde. Tout est bon à Edward Kienholz : les multiples savoir-faire qu'il doit aux nombreux métiers qu'il a exercés, fermier, vendeur de voitures, étalagiste, trafiquant d'alcool, représentant en aspirateurs, employé dans une clinique psychiatrique ; les objets abandonnés par le flux de la vie, l'usure, le dégoût.