Dès son arrivée au pouvoir, Edward Heath affirme son intention de « remettre l'Angleterre sur pied ». Point de plan miracle, cependant, dans le programme du nouveau gouvernement, présenté solennellement au Parlement, le 1er juillet 1970, par la reine, dont le discours est pour la première fois télévisé en couleurs.

Curieusement, cette équipe d'hommes relativement jeunes, où les anciens sont rares, ces Heathmen comme on les appellera, car ils sont presque tous, comme le Premier ministre, des self-made men du néo-conservatisme, sortis de la petite bourgeoisie, ne semblent pas avoir d'idées neuves. C'est un style, celui de l'efficacité de l'administrateur, ou plutôt une philosophie politique plongeant ses racines dans le vieux libéralisme le plus classique qu'ils veulent d'abord imposer.

Il faut, disent-ils, substituer un « gouvernement de réflexion » à un « gouvernement d'improvisation », désengager l'État de la vie économique afin de rendre à celle-ci le libre jeu de ses réflexes vitaux, rétablir le respect de certaines règles dans les rapports sociaux en luttant, par exemple, contre le fléau des grèves sauvages, bref délivrer le pays du carcan de la société Providence en misant sur la solidité de sa santé naturelle. Une seule aventure, l'Europe, à condition que les termes d'un accord avec les Six soient justes.

Très vite, cependant, le gouvernement se heurte aux difficultés inhérentes au mal anglais, sur lesquelles les experts se penchent depuis des années sans y trouver autre chose qu'un nouveau mot du jargon économique pour le définir : stagflation, c'est-à-dire la conjugaison de deux phénomènes qui ne sont en général jamais réunis : en premier lieu, la stagnation économique, qui se manifeste à la fois dans la faiblesse des investissements (8 à 9 % du PNB) et dans une certaine inertie de la production, qui ne progresse que de 1,5 % par an, un des taux les plus faibles d'Europe ; d'autre part, l'inflation, dont « l'ampleur, dira un rapport de l'OCDE, n'est sans doute pas dépassée dans aucun autre pays ».

Conséquences immédiates de cette situation : flambée des prix (8 % en 1970), explosion des salaires, grèves et chômage, dont le taux atteindra au printemps 3,3 % de la population active, soit plus de 800 000 travailleurs. Un seul point de satisfaction dans ce bilan assez sombre : le rétablissement spectaculaire de la balance des paiements, qui, en dépit de toutes les difficultés nationales et internationales, restera bénéficiaire toute l'année (8,2 milliards de francs fin 1970). Mais on devra convenir que ce rétablissement (dû en partie à des circonstances particulières), qui avait été le grand objectif de la politique économique et financière du gouvernement Wilson, ne pouvait être une fin en soi et n'apportait aucun élément de solution à la crise britannique.

Dans ces conditions, le choix du chancelier de l'Echiquier devait être capital pour le destin du gouvernement : Ian Macleod, chef de file de la tendance libérale, une des personnalités les plus fortes du parti conservateur, aurait pu être ce mentor respecté. Malheureusement, il meurt subitement le 21 juillet. Il est remplacé par A. Barber, primitivement désigné pour mener les négociations à Bruxelles.

Si la nomination de ce dernier comme Monsieur Europe avait été bien accueillie, sa promotion comme grand argentier est vivement critiquée. Le gouvernement, amputé de son homme sage, n'a retrouvé qu'un espoir, un autre Heathman, semblable à la majorité des ministres, dont la carrière reste à faire.

Grèves

Dès le 15 juillet, première épreuve sociale pour le gouvernement : les 47 000 dockers cessent le travail ; l'état d'urgence est proclamé et le gouvernement menace de faire appel à la troupe pour décharger les navires. On négocie cependant sous l'égide de Robert Carr, secrétaire à l'Emploi, qui fait ses premières armes avec habileté. Le conflit dure quatorze jours et coûte à l'économie quelque 3 milliards de francs. À peine les dockers ont-ils cessé leur mouvement que 700 000 employés municipaux revendiquent à leur tour et se mettent en grève.