Le gouvernement voit d'un très mauvais œil cette intrusion du clergé dans la politique. On assiste à un véritable conflit ouvert entre l'Église et l'État. Par surcroît, le cardinal Villot, secrétaire d'État au Vatican, envoie une lettre au Prado dans laquelle il dit son inquiétude et implore l'indulgence des juges.

Deux jours avant l'ouverture du procès, le 1er décembre au soir, un nouveau drame éclate, qui vient durcir une situation déjà extrêmement tendue : le consul d'Allemagne fédérale à Saint-Sébastien, Eugen Beihl, est enlevé à son domicile. Un communiqué de l'ETA, publié le lendemain matin, revendique le rapt, précisant que « le sort du consul dépendra de celui qui sera fait aux détenus de Burgos ».

Devant cet acte de terrorisme caractérisé, les partisans de la dureté triomphent. « Il n'est pas question de céder au chantage », écrit le quotidien Unidad de Saint-Sébastien. Devant l'effet catastrophique produit, qui va à rencontre de ses buts, l'ETA recule et, dans un nouveau communiqué, rejette toute la responsabilité de l'enlèvement sur une fraction dissidente du mouvement.

Conseil de guerre

C'est dans ces circonstances que, le 3 décembre 1970, s'ouvre le conseil de guerre au gouvernement militaire de Burgos.

D'un côté, sur une estrade surmontée d'un crucifix, le colonel-président Ordovas Gonzalez, les trois juges militaires et le rapporteur, le capitaine Troncoso — seul juriste professionnel des cinq —, tous en grand uniforme.

En face, dans une sorte de fosse, les seize accusés, les poignets enserrés par des menottes. Parmi eux, Francisco Xavier Izco, qui fait figure de chef, son beau-frère, José-Maria de Dorronso, Eduardo Uriarte, Francisco Xavier Larena, Mario Onaindia, Joaquin Gorostidi — tous les six sont passibles de la peine de mort — et encore deux femmes et deux prêtres.

Le premier jour du procès est consacré à la lecture de l'acte d'accusation : assassinats, banditisme, terrorisme, rébellion militaire, vols à main armée, dépôts d'armes et de munitions. Dès le lendemain éclatent les premières escarmouches entre le tribunal et la défense (il y a trois avocats français). Les défenseurs contestent la valeur des déclarations recueillies uniquement par des policiers et des gendarmes, et dénoncent les mauvais traitements dont leurs clients ont été victimes.

Tandis que les avocats se plaignent auprès de la Cour suprême du fait que le président les empêche de parler, les milieux officiels publient le décompte des actes de terrorisme (116) attribués à l'ETA, et le gouvernement proclame l'état d'exception dans le Guipuzcoa pour une période de trois mois. À ce moment, on compte plus de 100 000 grévistes dans les provinces du Nord-Ouest, et des bagarres à Eibar, près de Saint-Sébastien, font un mort.

Le samedi 5, l'interrogatoire des accusés commence. Un prêtre et une femme racontent les tortures dont ils ont été victimes (la cigogne, la table d'opération, etc.), cependant que les défenseurs mettent en doute les preuves de la culpabilité de leurs clients.

Tortures

Interrompu pendant deux jours, à cause d'une indisposition du rapporteur, le procès reprend le mardi 8. Cette séance marque un tournant dans l'affaire de Burgos. Car d'accusés les prévenus se font accusateurs. C'est non seulement la torture qu'ils dénoncent, mais encore, après avoir rejeté l'acte d'accusation, ils définissent l'existence d'une entité nationale basque et réclament l'application des conventions de Genève.

Le tribunal limite les interventions de la défense et coupe la parole aux accusés. « Taisez-vous, au suivant », hurle le président quand l'interrogé s'éloigne de la question posée.

Le lendemain, alors que l'interrogatoire se poursuit, l'incident éclate. L'un des accusés, Mario Onaindia, bondit dans la salle en criant : « Vive le Pays basque libre ! » Aussitôt deux juges dégainent leur sabre, un garde braque son pistolet, tandis que tous les prisonniers entonnent l'hymne basque Euzko Gudari'k Gara, repris par une partie de l'assistance. Le président fait évacuer la salle. Les accusés ayant récusé le tribunal, les avocats annoncent qu'ils ne plaideront pas et demandent à quitter le prétoire. Le président refuse.