Pour l'ouverture à l'Est, le bilan est assez largement positif. À l'issue d'une négociation extrêmement difficile avec le Kremlin, dont les résultats ont été remis en cause jusqu'à la dernière minute, Walter Scheel obtient, en juillet 1970, d'Andrei Gromyko, un accord de renonciation à la force entre la RFA et l'URSS : dans l'esprit de ses auteurs, il doit mettre un terme à l'après-guerre. De la part de Bonn, l'accord de Moscou entérine la volonté de reconnaître les frontières de fait issues de la guerre et de ne pas chercher à les modifier par la force ; de la part de l'URSS, il annonce une attitude nouvelle envers la « puissance revancharde » : détente politique et coopération économique.

L'opinion allemande accueille cet accord, selon les sondages, avec des sentiments mitigés, mais semble s'y résigner dans sa plus grande majorité. Par contre, la perspective d'échanges commerciaux intensifiés avec l'Union soviétique et d'investissements importants sur son territoire est accueillie avec faveur par les milieux industriels et commerciaux de la RFA. À la négociation de l'accord fait suite la signature solennelle, le 12 août, dans la salle Saint-Georges du Kremlin, par Willy Brandt et A. Kossyguine. C'est un moment historique, qui reçoit une approbation presque unanime, sauf en Chine.

Mais cet épisode est suivi, plus prosaïquement, par la visite de Karl Schiller, le ministre de l'Économie, à Alexis Kossyguine ; ils étudient ensemble les formes que pourrait prendre la coopération économique ; les richesses de la Sibérie, qui attendent d'être exploitées, sont évoquées par le chef du gouvernement soviétique. Puis c'est au tour du ministre fédéral de la Recherche et de la Technologie, Walter Leussink, de faire le voyage de Moscou. Il évoque l'éventualité d'une collaboration scientifique.

Réconciliation

Le prestige international de Willy Brandt est à son sommet lorsqu'il aborde la deuxième étape de son Ostpolitik, celle de la réconciliation symbolique avec la Pologne. Bonn prend l'initiative et offre que le texte contienne la garantie par la RFA de la frontière occidentale de la Pologne (ligne Oder-Neisse). C'en est assez pour permettre aux diplomates polonais de signer un texte auquel ils reconnaissent d'ailleurs un autre avantage : la Pologne aura désormais des relations diplomatiques avec les deux États allemands, au lieu d'avoir pour seul partenaire la RDA de Walter Ulbricht. La télévision a retransmis la cérémonie de la signature ; le monde entier a pu voir le chancelier Willy Brandt (l'ancien résistant Herbert Frahm) agenouillé devant le mémorial d'Auschwitz.

Pendant les négociations, l'opposition a dû mettre un frein à ses critiques. Certains de ses membres ont, certes, tenté d'en interrompre le déroulement en publiant dans les journaux du groupe Springer, de façon volontairement intempestive, certains brouillons des accords projetés. Mais d'autres leaders de la CDU, comme Gerhard Schröder ou Rainer Barzel (le chef du groupe parlementaire chrétien-démocrate) se sont démarqués de cette campagne, affirmant que la CDU pouvait peut-être accepter l'ouverture à l'Est, à condition qu'elle soit « récompensée » par de véritables progrès sur le problème de Berlin. C'était jouer le jeu de Willy Brandt, puisque lui-même en avait fait la condition préalable de la ratification de l'accord de Moscou.

En fait, l'opposition apparaît très peu sûre d'elle-même à l'automne 1970, hésitant entre plusieurs programmes et plusieurs hommes (Barzel, Kiesinger, Helmut Kohl, homme de gauche de la CDU entre autres) pour se préparer à la campagne de 1973. Beaucoup plus dangereuse, dans l'immédiat, pour le gouvernement de Bonn : la sécession de l'aile droite du parti libéral, autour de trois députés, Zoglmann, Mende (l'ex-vice-chancelier de Ludwig Erhard) et Starke. Ceux-ci finirent par quitter le parti FDP et s'orienter vers des groupements politiques de type national.

Les élections régionales de l'automne (pour les Parlements de plusieurs länder) ont confirmé l'amenuisement de la clientèle électorale libérale, et le FDP ne s'est maintenu que de justesse dans les landtage de Wiesbaden (Hesse ; 10,10 % des voix), de Munich (Bavière ; 5,5 %), de Mayence (Rhénanie-Palatinat ; 5,9 %). À Kiel (Schleswig-Holstein), il n'atteignait pas le seuil de 5 % nécessaire pour être représenté.

Bataille économique

L évolution intérieure de la RFA, surtout à partir de la fin de 1970, a été beaucoup moins satisfaisante. L'opposition a choisi de reporter sur le terrain de l'économie et de la monnaie la bataille qu'elle avait plus ou moins perdue sur le terrain extérieur, d'août à novembre 1970. La hausse extrêmement rapide des prix et le déchaînement des revendications salariales étaient de bons arguments ; s'y ajoutait l'agitation de l'aile gauche du parti social-démocrate, bien propre à effrayer un électorat timide.