Le nouveau ministère est presque identique au précédent, mais il n'est plus l'émanation de la volonté du chef de l'État. Le parti, où s'exerce un pouvoir collégial, est de toute évidence la puissance motrice : c'est lui qui, en priorité, accorde sa confiance au nouveau gouvernement ; c'est lui encore qui approuve, fin octobre, la nomination de deux vice-présidents de la République : Ali Sabri et Hussein el Chafei, représentant également les deux orientations du nassérisme.

Le poste clé de secrétaire général de l'Union socialiste arabe (que détenait Nasser) est confié, en revanche, à un homme appartenant au clan prosoviétique, Mohsen Aboul Nour, proche du ministre de l'Intérieur.

Contre toute attente, le président Sadate ne tarde pas à se distinguer de ceux qui l'ont hissé au pouvoir et, par la même occasion, à s'assurer une certaine popularité dans le pays. Le 31 octobre 1970, le gouvernement décrète la baisse des prix de nombreux biens de consommation courante (thé, sucre, pétrole d'allumage, chaussures, lainages, postes de radio, réfrigérateurs, etc.). Des augmentations de salaires sont accordées à 150 000 ouvriers du secteur public. La décision est prise d'établir 400 centres sanitaires dans les campagnes en faveur de plus de 3 millions de paysans.

Libéralisation

Le chef de l'État, à qui l'on attribue tout le mérite de ces mesures, fait également figure de défenseur de l'ordre et de la légalité. Le 30 décembre, il charge le Premier ministre de procéder à la liquidation des séquestres et décrète que désormais aucune propriété ne sera saisie, sauf par décision judiciaire, sanctionnée par un jury de citoyens. Le 9 février 1971, l'administration de la réforme agraire restitue à 800 propriétaires leurs terres séquestrées sous le régime de Nasser. Le président Sadate se fait l'interprète des classes moyennes, avides d'une libéralisation économique et politique, de stabilité constitutionnelle et d'un retour à un parlementarisme de type occidental, en opposition à l'omnipotence du parti unique, défendue par l'aile gauchisante du nassérisme.

Le schisme entre les deux clans parait encore plus profond dans le domaine de la politique étrangère. D'abord feutré, le conflit éclate en février et en mars 1971 à l'occasion du renouvellement du cessez-le-feu sur le canal de Suez. À deux reprises, le groupe Chaaraoui Gomaa-Ali Sabri-Sami Charaf se prononce pour la fin de la trêve, pour une politique de fermeté à l'égard à la fois d'Israël et des États-Unis.

Le président Sadate et ses amis, qui prônent la conciliation, sont mis en minorité en mars au Comité exécutif suprême de l'Union socialiste arabe. Pourtant, ils se réclament de la politique du président disparu. Nasser n'avait-il pas accepté dans son intégralité, en juillet 1970, le plan Rogers ?

Ouverture

Fidèle à cette tactique dite de la main tendue, le président Sadate écrit le 5 mars 1971 à Richard Nixon. Il laisse entendre que Le Caire pourrait reprendre ses relations diplomatiques avec Washington si les États-Unis exerçaient des pressions suffisantes pour amener les Israéliens à évacuer les territoires occupés. L'initiative est fondée sur une thèse que ne cesse de défendre le rédacteur en chef d'Al Ahram, Mohamed Hassanein Heykal. L'ancien confident de Nasser, devenu l'idéologue du courant modéré, soutient que seuls les États-Unis peuvent exercer une influence sur Israël et que l'Égypte se doit d'obtenir au moins la neutralité bienveillante des Américains. En mars, une violente polémique éclate dans la presse. Les principaux dirigeants de l'aile gauche du parti dénoncent le « déviationnisme », le « défaitisme », voire la « trahison » de H. Heykal. Le chef de l'État est indirectement visé par cette manœuvre.

La crise

Les censeurs du président Sadate désapprouvent également certains aspects de sa politique dans le monde arabe. En particulier, l'accord conclu le 17 avril 1971, à Benghazi, aux termes duquel l'Égypte, la Libye et la Syrie décidèrent de se fédérer. Au Comité exécutif suprême et au Comité central du parti, Ali Sabri met en accusation le chef de l'État. Il dénonce l'accord dans sa forme comme sur le fond. La fédération, soutient-il, est artificielle, puisqu'elle regroupe des pays dotés de systèmes politiques et économiques différents ; le président Sadate, ajoute-t-il, n'avait pas le droit d'engager son pays dans cette opération sans se référer aux organisations dirigeantes du pays.