Deux problèmes restent posés : dans l'immédiat, le chômage que ces industries, puissamment automatisées, ne résorbent pas ; à long terme, l'écoulement de cette production si le marché algérien ne peut l'absorber.

Cette voie, quoique semblable à celle que l'URSS avait choisie, n'exige pas une socialisation totale de l'économie. En 1970-71, entreprises et investisseurs privés existent encore et sont sollicités. Mais la création de ces énormes usines ne peut être réalisée que par l'État. D'où la multiplication des firmes au sigle en SN, pyramide de sociétés nationales dont il est maître. Même en tenant compte des rentrées pétrolières et de l'austérité imposée par ses investissements (le budget de fonctionnement de 1971 sera à peine supérieur à celui de 1970), l'État n'est pas assez fortuné pour tout financer lui-même. D'où le recours aux capitaux étrangers, très diversifié cette année : Banque mondiale, France, URSS et démocraties populaires, avec lesquelles des accords sont signés, USA et Chine populaire, Grande-Bretagne et Italie, etc.

Agriculture

Une telle politique implique toujours une certaine négligence du problème agricole, qui ne reçoit que 15 % des investissements. Actuellement, ce secteur comprend 2 500 000 ha nationalisés, anciennes terres des colons exploitées par des Comités de gestion que l'Administration a regroupés et repris en main en 1971. Mais 6 000 000 d'hectares demeurent toujours exploités par des particuliers sous le régime du khammès : 1 500 000 familles doivent donner 4/5 de leur récolte aux propriétaires. Certaines difficultés apparaissent en Petite Kabylie et, en octobre, le président Boumediene annonce « qu'il est temps d'en finir avec le khamessat ». Une réforme agraire était en préparation en juin 1971.

Mais outre le sous-emploi agraire, deux problèmes demeurent : l'Algérie doit toujours importer ses céréales des USA et du Canada et ne sait que faire de ses 8 millions d'hectolitres de vin, que la France achète de moins en moins et dont l'URSS ne résorbe qu'une partie. Fin 1970, les exportations algériennes vont encore pour moitié vers la France, d'où viennent 40 % des importations, et l'URSS accède peu à peu au second rang.

Diplomatie

Ces impératifs économiques commandent la diplomatie, qui doit compter avec deux autres données : ce pays est arabe et s'assume socialiste.

À l'égard de la France un « souci sourcilleux » de l'indépendance nationale (le mot est de H. Boumediene) détermine une réelle intransigeance dans les relations économiques, mais la rupture totale est toujours évitée. Le problème des 680 000 Algériens travaillant en France, et dont les mandats mensuels font vivre un million d'Algériens, est réglé cas par cas, comme celui des coopérants dont l'Algérie a besoin, sans admettre qu'ils interviennent dans sa vie politique. À l'égard des USA, la situation est plus complexe : depuis la guerre des Six-Jours, les deux pays n'entretiennent plus de relations diplomatiques, mais les relations économiques se développent harmonieusement.

Les excellentes relations avec l'URSS (accords économiques, fournitures d'armes, accords d'entraide) n'empêchent pas Alger de s'élever contre le Plan Rogers que Moscou préconise, ni de traiter avec Pékin. À l'égard du monde arabe enfin, deux attitudes : d'une part, les relations avec la Libye sont très bonnes et le contentieux qui séparait Alger de Tunis et Rabat semble définitivement réglé. Il est maintenant certain qu'Alger n'interviendra pas dans la vie politique de ses voisins, quoi qu'il y advienne, et que ceux-ci ne s'occuperont pas des éventuels incidents algériens.

À l'égard de l'Égypte, la situation est plus ambiguë : Alger proteste contre le plan Rogers, vilipende la négociation Jarring, soutient donc l'Égypte en guerre contre Israël. Mais tout ce qui affaiblit Le Caire renforce objectivement l'accès d'Alger au leadership arabe. Si bien que, lorsque tel article d'Al Ahram semble critiquer la politique algérienne, El Moujahhid répond vertement. Mais, en même temps qu'elle entretient de sages rapports avec tous, Alger (c'est un fait et cela a été proclamé officiellement en fin 1970) donne asile à tous les mouvements révolutionnaires armés. Leur cas étant étudié, ils reçoivent logis, matériel pour imprimer leurs documents, et protection.

Sommeil

Liquidation de mouvements étudiants qui, au printemps, avaient suscité quelques troubles dans les lycées et l'université, réduction du PAGS (ancien parti communiste algérien) à une difficile illégalité, élimination d'éléments suspects d'affairisme dans l'armée, anéantissement d'un mouvement traditionaliste dévot qui s'élevait contre les modes de vie moderne issus de l'industrialisation : l'année 1970-71 a vu disparaître les oppositions politiques, sans que la mort de Krim Bel Kacem, tué « dans des conditions inexpliquées » à Francfort, y soit pour rien.