Journal de l'année Édition 1970 1970Éd. 1970

C'est, en tout cas, le but essentiel assigné aux troupes engagées, et plusieurs éléments permettent de penser que les militaires américains ont conçu l'opération comme un coup de main, un coup de filet limité dans l'espace et dans le temps : interdiction pour les GI's de pénétrer au-delà de 35 km ; retrait complet le 30 juin ; annonce enfin par Washington que ni le Conseil de sécurité de l'ONU, ni les alliés européens des États-Unis, ni l'Union soviétique n'ont été tenus au courant des intentions de la Maison-Blanche. Quant au gouvernement Lon Nol, il n'a été prévenu qu'au dernier moment.

Le 30 avril (un jour après les Sud-Vietnamiens) plusieurs milliers de GI's, appuyés par des raids aériens et d'importants bombardements d'artillerie, franchissent la frontière du Viêt-nam et du Cambodge, dans la région du Bec de Canard et de l'Hameçon. Le secteur est précisément la zone où doit se trouver le quartier général du FNL. C'est un véritable sanctuaire vietcong, constituant une menace permanente pour Saigon.

L'offensive américano-sud-vietnamienne apparaît au départ relativement limitée. Rapidement, par la logique de l'engrenage, elle s'étend tout le long de la frontière et le nombre des troupes engagées croît au fur et à mesure que les jours passent. Plus de 80 000 hommes (dont 32 000 Américains) participeront à la bataille à la fin du mois de mai. Une quinzaine d'opérations simultanées ou successives sont mises en œuvre.

3 tués, 23 prisonniers parmi les journalistes

Les journalistes ont payé un lourd tribut lors de l'intervention américaine au Cambodge : 3 journalistes (2 Américains et un Indien) ont été tués dans une embuscade près de Phnom Penh ; 23 ont été faits prisonniers par les maquisards (7 Japonais, 6 Américains, 5 Français, 2 Canadiens, un Suisse, un Allemand et un Autrichien) — 3 d'entre eux (Américains) ont été libérés à la mi-juin, après cinq semaines de détention.

Les quatre fronts

On peut compter quatre fronts principaux :
– Le front du Bec de Canard, tenu essentiellement par les troupes sud-vietnamiennes, aidées de conseillers américains. Opération déclenchée le 29 avril ;
– Le front du Mékong, qui est la prolongation au sud du front précédent. Là aussi, ce sont les Sud-Vietnamiens qui sont en première ligne ;
– Le front de l'Hameçon, tenu par les Américains, qui y ont pénétré le 30 avril ;
– Le front Ratanakiri, au nord-est du pays ; opération lancée par les forces américano-sud-vietnamiennes le 5 mai. Une fois de plus, il s'agit de couper la piste Ho Chi Minh qui traverse les hauts plateaux de cette région et de démanteler les repaires vietcongs qui menacent la base vietnamienne de Pleiku.

Incontestablement, les troupes américaines et leurs alliés sud-vietnamiens remportent, au cours du mois de mai, plusieurs succès. Toute la région sud-est du Cambodge passe sous leur contrôle, parfois au prix de durs combats, parfois sans rencontrer de résistance réelle. Des dizaines de milliers d'armes individuelles et collectives, des centaines de véhicules, des tonnes de riz et de médicaments sont saisis ; des camps vietcongs et nord-vietnamiens, des hôpitaux souterrains, des dépôts de munitions et de ravitaillement sont détruits. La route no 1 qui relie Phnom Penh à Saigon, coupée par le Vietcong, est ouverte de nouveau grâce à la jonction au bac de Neak Lung des Sud-Vietnamiens et des Cambodgiens. La route Takeo-Phnom Penh est elle aussi ouverte. La ville de Takeo, occupée le 17 mai par les Sud-Vietnamiens, devient le centre de toutes les opérations au sud. De leur côté, les troupes cambodgiennes reprennent le 24 aux Nord-Vietnamiens Ton Le Bet, sur la rive est du Mékong, et s'apprêtent à faire leur jonction avec les Sud-Vietnamiens.

Les sanctuaires vietcongs

Mais tous ces succès que le président Nixon se plaît à souligner constituent-ils une victoire ?

Dès la fin du mois de mai, les officiers américains eux-mêmes en doutent. Le grand quartier général du Vietcong n'a pas été capturé (on peut se demander d'ailleurs si les Américains ne se faisaient pas quelque illusion en croyant mettre la main sur un Pentagone de l'adversaire). Les bataillons nord-vietnamiens, le Viêt-cong et l'armée de Sihanouk n'ont pas été anéantis. Des maquisards sont restés sur place et si les Américano-Sud-Vietnamiens ont repris des villes et tiennent des points stratégiques, ils n'ont pas le contrôle absolu de la région et sont souvent accrochés par de petites unités vietcongs qui se dissolvent aussitôt dans la nature. Enfin — conséquence peut-être de la conférence de la gauche indochinoise — les forces nord-vietnamiennes et vietcongs ont modifié leur stratégie. Au lieu de tenir coûte que coûte la zone envahie par les Américains, elles ont effectué, semble-t-il, dès le début de l'intervention, un mouvement de repli vers le nord du pays. En liaison avec le Pathet-Lao (procommunistes laotiens), elles se sont emparées des principaux centres qui jalonnent la vallée du Mékong en amont de Phnom Penh (Kratie, Stung Treng). De part et d'autre de cet axe de ravitaillement et de communication, elles prennent peu à peu le contrôle du nord du Cambodge, consolidant de nouveaux sanctuaires qui constituent autant de bases pour de nouvelles offensives aussi bien au Cambodge qu'au Viêt-nam du Sud.