Ainsi, la vieille division du parti socialiste entre l'alliance à sa gauche avec le PC ou à sa droite avec les centristes, voire avec l'aile gauche de la majorité, domine-t-elle tout le débat politique. Les communistes, pour leur part, semblent hésitants. L'année a été rude pour eux. Le PC français a dû en rabattre peu à peu de la réprobation pourtant mesurée qu'il avait d'abord manifestée à l'intervention soviétique en Tchécoslovaquie. À peine était-il remis de la très rude épreuve qu'il s'était imposée en décidant de s'abstenir au second tour des élections présidentielles que les premiers succès de la politique sociale contractuelle, la poussée du gauchisme, son désir apparent de voir le pouvoir réprimer efficacement cette concurrence pour lui dangereuse, engendraient une impression sinon de complicité avec le néo-gaullisme, du moins d'ambiguïté. Il lui fallait donc concrétiser avec éclat son opposition. Tout naturellement, les voix des syndicalistes sonnant plus haut et plus clair que celles des politiques, c'est Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, qui s'en charge, affirmant à deux reprises, à l'automne, que G. Pompidou n'irait pas au terme de son septennat. Le président de la République réagit avec vigueur. Va-t-on assister à un affrontement entre le régime et le PC ?

Le vainqueur du « test national »

Le nouveau député de Nancy (1re circonscription de Meurthe-et-Moselle), Jean-Jacques Servan-Schreiber, est âgé de quarante-six ans. Ancien polytechnicien devenu journaliste, il fonde le 16 mai 1953 un nouvel hebdomadaire, l'Express. Le succès de cette première publication entraîne l'édition de plusieurs autres périodiques, qui forment aujourd'hui le Groupe Express. Jean-Jacques Servan-Schreiber en assumait la direction jusqu'en 1969, époque à laquelle il abandonne ces fonctions pour celles de secrétaire général du Parti radical. Candidat devant cinq concurrents, il arrive en tête dès le premier tour, le 21 juin, avec 45,39 % des suffrages exprimés. Le second tour, le 28 juin, consacre sa victoire à la majorité absolue ; il recueille 55,28 % des suffrages.

L'inconnue communiste

On en est là quand une secousse interne vient s'ajouter pour les communistes aux soucis que leur cause le développement violent et anarchique du gauchisme. L'un de leurs plus anciens dirigeants, Roger Garaudy, passe de l'hérésie qu'il frôlait depuis quelques années en matière intellectuelle, philosophique, artistique, à la dénonciation ouverte. Il accuse le secrétaire général adjoint et ses partisans, qu'il nomme « le groupe Marchais », de monopoliser la direction, de truquer la gestion du parti, de faire preuve de sectarisme, d'une absolue docilité à Moscou, d'infidélité à la doctrine... Il nomme les représentants secrets du PC soviétique auprès du PCF. Il va jusqu'à assurer que ses anciens camarades ont remis aux nouveaux dirigeants tchèques choisis par Moscou des pièces accusatrices contre A. Dubcek et ses amis. Son réquisitoire, édulcoré, est néanmoins publié par l'Humanité, et il peut s'exprimer au Congrès national du PCF, le 5 février, devant une salle hostile, avant d'être sanctionné, puis exclu trois mois plus tard du parti.

Pendant ce temps, la tactique du PC semble fluctuante. Tantôt, dialoguant avec les socialistes et le PSU, il semble attaché à ses slogans traditionnels d'unité de la gauche ; tantôt, au contraire, déléguant ses représentants à l'Élysée pour les réceptions officielles, approuvant certains aspects de la politique extérieure du régime, dénonçant le gauchisme avec le même acharnement que le font certains gaullistes, il paraît se demander s'il n'aurait pas avantage, en raison de la division de la gauche socialiste et de son affaiblissement, à faire sienne la vieille formule d'André Malraux, qui disait dès 1949 : « Demain, en France, il n'y aura plus que les communistes, nous [les gaullistes] et rien. » Faut-il tenter de s'allier avec une partie de la gauche pour parler dès lors au nom d'une opposition au sein de laquelle on devra naturellement négocier et concéder ? Doit-on, au contraire, accepter le défi, se détourner de cette gauche inconsistante et admettre la bipolarisation, communistes contre gaullistes, avec l'espoir d'élargir ainsi son électorat ? En d'autres termes, la partie devait-elle être jouée camp contre camp, par équipes dans une mêlée confuse, ou ressembler davantage à un combat de boxe, pour lequel les deux adversaires signent un contrat avant de se battre en s'engageant à respecter certaines règles, mais aussi à ne pas se ménager.

Le PCF hésitait visiblement entre ces deux attitudes au début de l'été 1970, avec la perspective d'élections municipales au printemps 1971. De sa réponse, des réactions de ses adversaires et de ses éventuels partenaires, et évidemment des succès et des échecs, de l'union ou des divisions de la majorité, devait dépendre dans une large mesure l'évolution future d'un régime qui cherche encore sa voie, au terme d'une année de transition, dans une France bloquée.